Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/173

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des hommes pour se donner tant de peine à les conserver ? »

Il parloit fort ingénument de toutes choses ; il ne faisoit pas grand cas des sciences, principalement de celles qui ne servent qu’à la volupté, au nombre desquelles il mettoit la poésie. Et comme un jour un faiseur de vers se plaignoit à lui qu’il n’y avoit de récompense que pour ceux qui servoient le Roi dans ses armées et dans les affaires d’importance, et que l’on étoit trop cruel pour ceux qui excelloient dans les belles-lettres, Malherbe lui répondit que c’étoit une sottise de faire le métier de rimeur pour en espérer autre récompense que son divertissement ; et qu’un bon poète n’étoit pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles.

Pendant la prison de M. le Prince[1], le lendemain que madame la Princesse, sa femme, fut accouchée de deux enfants morts pour avoir été incommodée de la fumée qu’il faisoit dans sa chambre au bois de Vincennes, il trouva un conseiller de province de ses amis en une grande tristesse chez M. le garde-des-sceaux Du Vair. « Qu’avez-vous ? lui dit-il. — Les gens de bien, lui dit cet homme, pourroient-ils avoir de la joie après qu’on vient de perdre deux princes du sang ? » Malherbe lui repartit : « Monsieur, monsieur, cela ne doit point vous affliger : ne vous souciez que de bien servir, vous ne manquerez jamais de maître. »

Allant dîner chez un homme qui l’en avoit prié, il trouva à la porte de cet homme un valet qui avoit des gants dans ses mains ; il étoit onze heures. « Qui

  1. Henri de Bourbon, père du grand Condé.