Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/224

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parla et parla fort hardiment, car, Dieu merci, elle n’a pas le caquet mal emmanché. Ils retournèrent dans leurs prétentions, et la maison leur est demeurée.

Durant ce grand procès le bon homme s’accoutuma à s’habiller comme les autres. À quatre-vingts ans il se portoit encore fort bien. Il m’a quelquefois lassé à force de me promener dans son jardin. C’étoit un petit homme sec, à yeux de cochon. Il a toujours eu l’esprit présent, et, à sa mode, il disoit de jolies choses. Un jour que madame d’Hautefort[1] vint dans son jardin, il lui dit, d’un ton assez sérieux : « Madame, voulez-vous bien faire parler de vous ? après avoir maltraité des rois, aimez un petit bonhommet comme moi. »

Des Yvetaux avoit de la générosité et de la bonté. J’ai ouï dire au comte de Brionne, grand seigneur de Lorraine, que, s’étant retiré à Paris après la prise de Nancy, M. des Yvetaux le vouloit loger chez lui, et lui disoit pour raison : « Monsieur, vous avez si bien reçu autrefois les François en Lorraine, qu’il faut bien vous rendre la pareille aujourd’hui. » Ce M. de Brionne n’avoit qu’un cheval de carrosse, l’autre étoit mort ; il en emprunta un au bon homme, qui ne vouloit pas le reprendre, et disoit : « Vous m’en rendrez un quand vos affaires seront en meilleur état. »

Un an devant que de mourir, Ninon, qui alloit quelquefois jouer du luth chez lui, car il aimoit fort la musique et faisoit souvent des concerts, lui demanda un jour de fête s’il avoit été à la messe. « Il y auroit, répondit-il, plus de honte à mon âge de mentir, que

  1. Marie d’Hautefort fut aimée de Louis XIII, après la retraite de mademoiselle de La Fayette. Elle épousa en 1646 Charles, depuis maréchal de Schomberg.