Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fit ces deux couplets de chanson, et y mit un air :

Il s’en va ce cruel vainqueur,
Il s’en va plein de gloire ;
Il s’en va méprisant mon cœur,
Sa plus noble victoire ;
Et malgré toute sa rigueur,
J’en garde la mémoire.

Je m’imagine qu’il prendra,
Quelque nouvelle amante ;
Mais qu’il fasse ce qu’il voudra,
Je suis la plus galante.
Le cœur me dit qu’il reviendra,
C’est ce qui me contente.

Pour le temps, je ne crois pas qu’on en pût trouver de meilleurs, et même aujourd’hui on ne voit guère rien de plus achevé. Voyant qu’il ne revenoit point, le chagrin la prit, elle tomba malade, et cette maladie dura un an. Elle vendit, car elle n’avoit point de bien, tout ce qu’elle avoit de bijoux ; M. de Guise en fut averti, et qu’elle cachoit sa nécessité à tout le monde ; il lui envoya offrir dix mille écus. Elle dit au gentilhomme qui disoit les avoir tout prêts, qu’elle remercioit M. de Guise, qu’elle ne vouloit rien prendre de personne, et encore moins de lui que d’un autre ; qu’elle n’avoit guère à vivre, et qu’en cet état-là elle se pouvoit passer de tout le monde. Il y a apparence que cela augmenta son mal ; elle mourut la nuit suivante, et on ne lui trouva qu’un sou de reste. La ville la fit enterrer à ses dépens dans l’abbaye de Saint-Victor. Vingt-cinq ou trente ans après, comme on regarda dans le tombeau où on l’avoit mise, on y trouva son corps tout entier ; le peuple vouloit que ce fût une sainte, quand un vieux religieux alla regarder le registre, et