Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/28

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Le Roi lui demanda pourquoi il avoit si bon appétit quand il n’étoit que roi de Navarre, et qu’il n’avoit quasi rien à manger, et pourquoi à cette heure qu’il étoit roi de France, paisible il ne trouvoit rien à son goût : « C’est, lui dit le maréchal, qu’alors vous étiez excommunié, et un excommunié mange comme un diable. »

Il perdit un œil d’une épine qui lui perça la prunelle, comme il étoit à la portière du carrosse, en allant voir madame de Maubuisson, sœur de madame de Beaufort. Or, un jour qu’il étoit en carrosse avec Henri IV, il s’avisa, en passant, de demander à une vendeuse de maquereaux si elle connoissoit bien les mâles d’avec les femelles. « Jésus ! dit-elle, il n’y a rien de plus aisé, les mâles sont borgnes. » On l’accusoit d’avoir fait quelquefois le ruffian[1] à son maître.

Le Roi se plaisoit à lui faire des niches. Il avoit juré de ne plus voir des ballets, à cause qu’il falloit attendre trop long-temps. Sa Majesté, pour l’attraper, en alla faire danser un chez lui-même ; il n’y eut pas moyen de fuir, mais il se mit en telle posture qu’il avoit son bon œil caché. On n’y prit pas garde, et après il dit au Roi, qu’avec toute sa puissance il ne lui avoit pu faire voir un ballet en dépit de lui. Il se trouva du même temps à la cour un gentilhomme nommé Roquelaure et borgne comme lui ; ils n’étoient point parens.

Une autre fois le Roi le tenoit entre ses jambes, tandis qu’il faisoit jouer à Gros-Guillaume la farce du

  1. Du mot italien ruffiano, proxénète de la nature la plus honteuse.