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prétexte de son mal, et laisse Fabert[1], capitaine aux gardes, mais qui étoit bien dans l’esprit du Roi, et à qui le Roi avoit même dit un jour qu’il se vouloit servir de lui pour se défaire du cardinal. On l’avoit choisi comme un homme de cœur et un homme de sens. M. de Thou sonda un jour Fabert pour lui faire prendre le parti de M. le Grand. Fabert lui fit sentir qu’il en savoit bien des choses, et le pria de ne lui rien dire qu’il fût obligé de découvrir. « Mais vous n’avez, lui dit l’autre, aucune récompense ; vous avez acheté votre compagnie aux gardes. — Et vous, répondit Fabert, n’avez-vous point de honte d’être comme le suivant d’un jeune homme qui ne fait que sortir de page ? Vous êtes dans un plus mauvais pas que vous ne pensez. »

Or, voici comment on découvrit que le Roi n’aimoit plus M. le Grand. Un jour, en présence du Roi, on vint à parler de fortifications et de siéges. M. le Grand disputa long-temps contre Fabert, qui en savoit un peu plus que lui. Le feu Roi lui dit : « Monsieur le Grand, vous avez tort, vous qui n’avez jamais rien vu, de vouloir l’emporter sur un homme d’expérience qui fait la guerre depuis si long-temps ; » et ensuite dit assez de choses à M. le Grand sur sa présomption[2], puis s’assit. M. le Grand lui alla dire sottement : « Votre Majesté se seroit bien passée de me

  1. Abraham Fabert, qui fut depuis créé maréchal de France.
  2. Un jour il contesta sur la guerre contre le maréchal de La Meilleraye. Le Roi lui dit que c’étoit bien à lui, qui n’avoit rien vu, à disputer contre un homme qui faisoit la guerre depuis si long-temps. — « Sire, répondit-il, quand on a du sens et de la lumière, on sait les choses sans les avoir vues. » (T.)