Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/78

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lui qui fit la composition des financiers. M. de Bellegarde s’en étant rendu le solliciteur, il fit si bien qu’il réduisit à fort peu de chose ce qui devoit revenir de cette composition, pour faire accroire au Roi qu’il avoit été mal conseillé, et que, pour un petit profit, il avoit perdu la bonne volonté de ses officiers. Ceci arriva en 1606, et le roi, sachant les pots-de-vin qu’il prenoit, et croyant qu’il avoit part aux intérêts d’avance qu’on payoit aux trésoriers de l’Épargne, faisoit état de donner la surintendance à M. de Vendôme, quand il auroit plus d’âge ; lorsque Sa Majesté mourut, elle étoit sur le point de l’y établir.

Son triomphe d’Ivry et les grandes sommes qu’il tira des prisonniers de guerre qu’il fit, sont les plus plaisants endroits de son livre[1]. Toutes ces extravagances sont peintes dans une grande salle à Villebon, dans le pays Chartrain.

C’étoit le plus sale homme du monde en paroles. Un jour, je ne sais quel gentilhomme fort bien fait alla dîner avec lui. Madame de Sully, sa seconde femme[2], qui vit encore, le regardoit de tous ses yeux. « Avouez, madame, lui dit-il tout haut, que vous seriez bien attrapée si monsieur n’avoit point de … » Il ne se tourmentoit pas autrement d’être cocu ; et en donnant de l’argent à sa femme, il disoit : « Tant pour cela, tant pour cela, et tant pour vos f… » Il fit faire un escalier séparé qui alloit à l’appartement de sa femme, et lui dit : « Madame, faites passer les gens que vous savez par cet escalier-là, car si j’en rencontre quelqu’un sur mon es-

  1. Mémoires, liv. 3.
  2. Sully, veuf d’Anne de Courtenay, se remaria à Rachel de Cochefilet, veuve elle-même en premières noces de Châteaupers.