Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme pour Thalès. Cette donnée ne peut s’appliquer qu’à l’origine immédiate de la terre.

Le style métaphorique du Milésien laissait probablement la pensée ambiguë et flottante entre les divers états de la matière, et c’est ainsi qu’on peut expliquer les différents renseignements contradictoires que nous fournit l’antiquité ; toutefois, il est difficile de croire qu’il ait affecté, comme semble l’avoir dit Théophraste, de ne pas définir la forme primordiale autrement que comme « indéfini ». Aristote ne nous dit rien de semblable au sujet de l’emploi de ce terme par Anaximandre, et ailleurs (De cœlo, III, 5), il dit formellement au contraire que ceux qui supposent un seul élément y voient soit l’eau, soit l’air, soit le feu, soit un intermédiaire plus subtil que l’eau, plus dense que l’air. Sans doute, ainsi que l’a soutenu Alexandre d’Aphrodisias, c’est bien Anaximandre qu’il entend comme représentant cette dernière hypothèse.



IV. — Les Doctrines sur l’origine du monde.


10. Si l’histoire de la science a quelque utilité, c’est qu’elle nous permet d’apprécier à leur juste valeur les vérités conquises et aussi les opinions courantes. S’il s’agit de connaissances positives, les premiers systèmes des anciens physiciens sont, certes, de nature à nous inspirer une juste confiance dans la puissance de l’esprit moderne, en nous faisant mieux juger du chemin parcouru, en nous faisant mieux sentir l’importance des obstacles surmontés, choses que peut déguiser en partie le mode d’enseignement actuellement suivi. Mais pour les questions qui sont à la limite de l’inconnaissable et dont la science revendique seulement la discussion sans être assurée de pouvoir la clore un jour, l’impression produite peut être toute différente ; nous pouvons reconnaître parfois que tous les progrès réalisés jusqu’à nos jours, toutes les connaissances accumulées depuis vingt-cinq siècles ont pu alimenter la discussion sans faire avancer d’un pas vers la solution. Plus la lumière grandit, plus nous pouvons même mieux mesurer la distance qui nous sépare toujours du but.

Nous nous sommes arrêtés à montrer comment l’œuvre d’Anaximandre relevait de la philosophie par l’emploi de certains termes destinés à y jouer plus tard un grand rôle, mais qui, à ce stade de la pensée humaine, sont bien loin de designer les concepts des