Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/171

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aurait-il essayé de décrire le monde comme constitué et organisé par un principe unique ? Mais, au cours de sa tâche, ses expressions trop métaphoriques laissèrent planer un voile sur le caractère de sa pensée ; on put les interpréter comme si le principe originaire avait été un mélange mécanique, d’où le mouvement sépare les choses déjà existantes sans avoir à les former en réalité. Anaximène, au contraire, attribue nettement au mouvement éternel, suivant les degrés de compression ou de dilatation qu’il produit, la constitution des différents corps, leur séparation et leurs transformations réciproques. Il a pleine conscience de la question, ce qui manquait encore à son précurseur.

Depuis le temps des Ioniens, la philosophie a singulièrement restreint le problème ; sous l’influence de préoccupations d’ordre moral ou de préjugés d’ordre religieux, on a cherché à établir l’existence de substances autres que la matière ; les partisans de l’opinion contraire ont reçu une qualification qui a pris un caractère dédaigneux ; quant à savoir si la matière est une en réalité, c’est un point qu’on a admis implicitement, tout en laissant à la science le soin de l’établir.

Pourtant, malgré les tendances auxquelles je viens de faire allusion, nous avons un besoin tellement inné de projeter sur la pluralité externe l’unité qui nous apparaît comme le caractère de notre être propre, que le dualisme n’a jamais pu triompher sérieusement en philosophie. Les penseurs unanimement reconnus comme les plus profonds ont tous au moins rêvé une unité supérieure, transcendante ou immanente, de l’esprit et de la matière ; si aucune formule n’a rallié l’assentiment général, chacun craindrait, en affirmant la vanité de pareilles recherches, de se rayer soi-même de la liste des philosophes.

8. Et cependant que faisait la science ? Remarquons d’abord que, dans son état actuel, elle a comme point de départ la conception atomiste et que cette dernière est essentiellement pluraliste.

Je ne m’arrête pas à la distinction des atomes et de l’espace vide. Ce dernier non-être est à la vérité un scandale métaphysique ; mais on peut écarter assez facilement la difficulté, sinon la dissiper entièrement. J’insiste sur ce point que les atomes de Leucippe, de Démocrite ou d’Épicure sont loin d’être tous identiques.

Certes ils ont des propriétés communes, mais l’unité, dans laquelle ils rentrent de la sorte, est purement factice, absolument