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sceptique), il a seulement affirmé son incompatibilité avec la croyance à la pluralité.

Jusqu’ici il n’y a pas de difficulté ; mais l’erreur commence quand il s’agit de déterminer quelle est exactement cette croyance à la pluralité que combat Zénon. Comme les autres, Zeller (II, p. 71 suiv.) dit que c’est l’opinion commune ; on fait ainsi de l’Éléate un idéaliste au sens moderne.

Or, quelle est l’opinion commune sur la pluralité ? C’est, par exemple, que deux moutons ne sont pas une seule et même chose. Il n’y a peut-être rien d’absurde à supposer que Zénon d’Élée trouvait erronée une pareille opinion, mais il s’y prenait alors bien maladroitement pour la combattre.

Aller soutenir, devant des hommes ayant le moindre jugement, que leur croyance à ce sujet est inconciliable avec le mouvement, ne peut avoir aucun résultat ; ils pourront être incapables de saisir le vice de l’argumentation, mais le simple bon sens leur dira assez qu’il n’y a aucun rapport entre les deux questions, et de fait on est incapable de montrer, ce qu’il faudrait, en quoi l’hypothèse posée par Zénon comme prémisse influe réellement sur les conclusions.

Ainsi, la méthode qu’on attribue à l’Éléate ne pouvait en rien éclairer sur sa doctrine véritable ; elle devait aboutir à le faire considérer uniquement comme un disputeur oiseux, se créant à lui-même de vaines difficultés sans savoir seulement en sortir.

Tel, en fait, dut apparaître Zénon dès l’antiquité aux yeux de bien des gens, surtout à Athènes, s’il vint y lire ses écrits ; au point de vue de l’impression qu’il produisit sur le vulgaire, on peut avec raison le comparer aux idéalistes modernes ; mais pas plus qu’eux, encore moins peut-être, il n’écrivait pour ce vulgaire incapable de le comprendre ; c’était à un public restreint et savant qu’il s’adressait ; c’était une théorie particulière qu’il combattait ; devant ce public, contre cette théorie, il eut tout le succès qu’il pouvait désirer.

On a supposé que les opinions visées par Zénon étaient celles d’Anaxagore ou de Leucippe, ce qui est également insoutenable ; on n’a pas pensé aux pythagoriens que tout indiquait cependant : c’est qu’on se fait d’ordinaire sur les doctrines de ces derniers, à cette époque, une opinion tout à fait erronée.

3. Parménide avait écrit son poème dans un milieu où, comme penseurs, les pythagoriens seuls étaient en honneur ; il avait repro-