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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

58. Quant à la pensée, il en dit seulement qu’elle se produit lorsque l’âme se trouve dans un tempérament proportionné ; si quelqu’un devient plus chaud ou plus froid, il y a changement de pensée. Les anciens ont dès lors soupçonné justement ce que c’était que d’ἁλλοφρονεἵν (avoir des pensées différentes). Il est clair par là qu’il attribue la pensée au tempérament du corps et que, suivant son langage, c’est le corps qui fait l’âme. Voilà à peu près sur la sensation et la pensée toutes les opinions que l’on rencontre chez les auteurs qui nous ont précédés.

59. Quant aux objets sensibles, à leur nature et à leurs qualités spéciales, on a généralement négligé d’envisager la question. On parle bien de ce qui tombe sous le toucher, comme le lourd et le léger, le chaud et le froid ; on dit, par exemple, que ce qui est dilaté et subtil est chaud, ce qui est dense et grossier est froid ; c’est la distinction que fait Anaxagore entre l’air et l’éther. On détermine aussi le lourd et le léger à peu près par les mêmes attributs et par leurs tendances en haut ou en bas ; on ajoute que le son est un mouvement de l’air, l’odeur une certaine effluve. Empédocle a aussi parlé des couleurs, a dit que le blanc tenait du feu et le noir de l’eau ; les autres n’ont guère fait qu’avancer que le blanc et le noir sont les principes et que les autres couleurs résultent du mélange de celles-là ; ce sont même les seules dont Anaxagore ait parlé.

60. Démocrite et Platon sont ceux qui ont le plus approfondi la question ; ils ont donné des déterminations particulières ; le dernier toutefois ne prive pas les objets sensibles de leur nature, Démocrite au contraire ne reconnaît que des affections des sens. Lequel a raison, il ne s’agit pas de le discuter ; essayons seulement d’exposer jusqu’à quel point chacun d’eux s’est avancé et quelles déterminations il a données ; mais d’abord indiquons leur procédé on général. Démocrite ne parle pas de même pour tout, mais il attribue certains effets aux grandeurs, d’autres aux formes, quelques-uns à l’ordre et à la situation. Platon rapporte presque tout aux affections et à la sensibilité.

61. Ainsi chacun d’eux semble se mettre en contradiction avec sa propre hypothèse ; car l’un, qui attribue la réalité aux affections de la sensibilité, fait des distinctions de natures, l’autre qui attribue la réalité aux propriétés des substances, les rapporte aux affections de la sensibilité. — Démocrite distingue le lourd et le léger d’après la grandeur. Car, s’ils étaient absolument séparés, quelle que fût