Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/81

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matiques abstraites, il avait assez apporté, si peu que ce fût, pour que les Grecs n’eussent plus, après lui, sérieusement besoin de recourir à l’Égypte, en astronomie, il était probablement assez loin d’avoir épuisé le trésor amassé par de longues observations.

À la vérité, il est difficile de préciser ce qu’il connaissait ; il l’est peut-être moins de marquer ce qu’il ignorait.

À en croire les doxographes grecs de l’ère gréco-romaine, Thalès et son école auraient possédé toutes les notions devenues courantes au ive siècle avant notre ère ; il aurait, pour toutes les découvertes importantes, devancé tout le monde ; bref, rien ne serait resté à faire après lui. De telles assertions sont absolument erronées ; si d’ailleurs, sur certains points, elles n’ont pas une gravité exceptionnelle, sur d’autres, il convient de les relever.

Ainsi, par exemple, il peut n’être pas absurde de dire (12)[1] que Thalès avait une notion plus ou moins nette des cercles astronomiques : le méridien, le zodiaque, l’équateur, les tropiques, le cercle arctique[2] ; mais il faut bien remarquer qu’Eudème attribue expressément à Œnopide, postérieur d’un siècle au moins, la première description précise du zodiaque et qu’au temps de Thalès, les constellations sont à peine nommées. D’un autre côté, la distinction des zones célestes et la conception effective des cercles astronomiques appartient sans contredit à l’école de Pythagore et ne semble même pas avoir été vulgarisée avant le poème de Parménide ; notamment la considération du cercle antarctique suppose la notion de la sphéricité de la terre qui, quoi qu’en disent les doxographes (13), est toujours restée étrangère à l’école ionienne. Thalès ne devait se représenter la terre que comme un disque plat, suivant la doctrine constante de ses successeurs, Anaxagore compris.

D’après Aristote et Théophraste (2) (5), ce disque plat flottait sur l’eau primordiale ; Thalès ne pensait donc pas que les astres continuassent leur route circulaire au-dessous de l’horizon. Ils devaient, pour lui, contourner latéralement le plateau terrestre, selon une opinion à laquelle Aristote fait une allusion très nette et que Mimnerme, entre autres, avait déjà exposée dans ses vers.

  1. Ces chiffres entre parenthèses renvoient aux nombres correspondants de la doxographie qui suit ce chapitre.
  2. Les anciens appelaient ainsi, non pas le même cercle que nous, mais le cercle céleste, variable suivant la latitude, qui limite les étoiles toujours visibles de celles qui se lèvent ou se couchent ; le cercle antarctique était l’opposé, limite des étoiles toujours invisibles.