Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/114

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moi de me laisser voir une fois encore, une seule fois, Nicolette, ma douce amie, que j’aime tant. Je ne veux que lui dire deux paroles et lui donner un baiser. — Soit, répondit le comte, je vous en donne ma foi. » Aussitôt Aucassin demande un haubert et des armes. On lui amène un cheval vif et vigoureux, et, la lance en main, le heaume en tête, il s’avance vers une des portes de la ville qu’il se fait ouvrir.

La joie de revoir bientôt sa douce amie Nicolette, et l’idée surtout de ce baiser promis, l’avaient tellement enivré de plaisir qu’il était hors de lui-même. Uniquement occupé d’elle, il marchait sans rien voir, sans rien entendre, et piquait machinalement son cheval qui, dans un instant, l’emporta au milieu d’un corps ennemi. Ce ne fut que quand on l’enveloppa de toutes parts, en criant : « C’est le damoiseau Aucassin, » et qu’il se sentit arracher sa lance et son écu, qu’il revint de sa distraction. Il fait alors un effort pour se dégager des mains de ses ennemis. Il saisit son épée, frappe à droite et à gauche, coupe, tranche, enlève des bras et des têtes, et pareil à un sanglier que des chiens attaquent dans une forêt, rend autour de lui la place vide et sanglante. Enfin, après avoir tué dix chevaliers et en avoir blessé sept, il se fait jour à travers les rangs et regagne la ville au grand galop.

Le comte Bongars avait entendu les cris qui annonçaient la prise d’Aucassin, et il accourait pour jouir de ce triomphe. Aucassin le reconnaît ; il lui assène sur le heaume un tel coup d’épée qu’il le renverse par terre, puis le saisissant par son nasal, il l’emmène ainsi à la ville et va le présenter à son père. « Mon