Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/139

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nous le permettait et tout en tirant des bordées, fait route vers Cannes, où nous devions nous rendre, sans toucher aucun autre port.

Nous dépassons le cap Benât, les îles de Port-Cros et du Levant ; Bernard nous cite à vue d’œil les noms de toutes ces baies, ports, îles et caps ; il paraît connaître admirablement la côte. Monsieur vérifie sur sa carte, c’est très exact. Flatté de cette approbation, Bernard se met à nous nommer tous les caps que nous allons passer : cap Nègre, baie de Cavalaire, cap Lardier, tour de Camaret, Saint-Tropez. Derrière les monts des Maures, il nous fait aussi remarquer sur la côte un rocher qui a la forme d’un bec d’aigle énorme. « Celui-là, dit-il, est un excellent point de repère pour les marins… »

La journée et la nuit ne furent pas trop mauvaises, nous avions même parcouru pas mal de chemin ; la seconde journée nous servit un vent idéal pour la marche du Bel-Ami ; la seconde nuit, vers une heure et demie du matin, on brûlait Saint-Raphaël et, trois quarts d’heure plus tard, nous apercevions au loin et très bas le petit feu de la jolie baie d’Agay…

Raymond dit alors : « Vers 4 heures et demie, monsieur de Maupassant, nous serons à Cannes. » À peine dix minutes après, Bernard dit à son tour. « Mauvais signe, monsieur de Maupassant, le vent nous quitte et une houle semble nous arriver du golfe de Gênes. » Bernard alla alors sur l’avant du bateau, se baissant, se relevant, plaçant les mains au-dessus de ses yeux ; puis, au bout d’un moment, il déclara que la mer était très dure au large. Du reste, nous commencions à nous en apercevoir, le Bel-Ami dansait déjà de belle façon.

En présence de ce contretemps, on décida de rentrer dans la baie d’Agay. La manœuvre fut donc dirigée de