Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/141

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réconfortants, puis il ajoutait : « Voyez-vous, à la mer, il faut toujours s’attendre à beaucoup d’imprévu. »

À 3 heures après midi, un mieux se manifesta, la houle s’allongea en cessant ses mouvements saccadés ; notre déplacement depuis 2 heures du matin était à peu près de deux milles, enfin doucement, vers 4 heures, un petit vent au large s’établit, nous n’avions plus alors assez de bras pour hisser les voiles. On mit tout dessus jusqu’au dernier morceau de toile… À 7 heures, le Bel-Ami était sur son ancre dans le port de Cannes ; il avait à ses côtés la Ville-de-Marseille, qui fut souvent dans la suite sa voisine de port.


Ce soir même, nous nous sommes rendus à l’appartement que Mme de Maupassant avait fait installer sommairement pour son fils et pour elle à la villa Continentale. Tahya nous attendait sur la porte comme si elle se doutait de notre arrivée ; elle fit beaucoup d’amitiés à son maître, en sautant autour de lui. Mais Monsieur alla droit à sa mère qui était dans le vestibule et lui donna deux baisers bruyants, en lui demandant : « Comment vas-tu ? » Madame lui répond : « Pas trop mal pour le moment, mais toi, mon cher enfant ? »

Mais Tahya n’était pas contente, elle continuait à vouloir obliger mon maître à s’occuper d’elle, ouvrait sa gueule très grande et laissait entendre des gémissements singuliers qui lui venaient du fond de la gorge. Il y avait de tout dans ses plaintes, de la prière et de la colère ; par moment, on aurait dit un instrument de musique inconnu, le langage de quelque peuple sauvage de ce désert, où était née cette tendre Tahya. Je me disais : « Peut-être bien qu’elle parle à Monsieur l’idiome qu’elle a entendu dans son enfance, au delà des mers de