Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/219

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cependant celui de Marseille », répondis-je. — Pourtant, reprit-il, celui-ci est bigrement beau ! »

Afin d’éviter le contact des bateaux de commerce, nous allâmes mouiller le Bel-Ami dans l’arrière-port, nommé la Vieille Darse, mais je crois que nous étions moins bien que dans le grand port. Tout autour de nous, nous n’avions que des bateaux opérant leurs déchargements d’huile, de savon, de sardines plus ou moins avariées. Cet ensemble répandait une odeur insupportable. Aussi, dès le lendemain, Monsieur était-il disposé à quitter cet endroit. « On ne sait vraiment, maugréa-t-il, de quel côté aller ; partout ça sent mauvais et l’on ne marche que sur des immondices. Gênes me fait penser à cette dame du monde de Tunis, qui ne sortait de chez elle qu’avec un grand voile noir qui lui descendait jusqu’aux genoux. Ce morceau d’étoffe, toujours laid, cache le plus souvent un charmant visage, de beaux yeux et une bouche aux lèvres sensuelles et roses. Gênes, de même, laisse voir ce qu’elle a de laid, des façades sales et noires. Il y a, cependant, de bien belles choses, des palais, des musées, de grandes richesses et aussi de jolies femmes, comme à Tunis. »

Après avoir quitté Gênes, nous naviguions lentement, suivant à distance les côtes qui conduisent à Porto-Fino. Mon maître paraissait éprouver un bien-être réel au grand air et un plaisir plus grand encore à ne plus avoir à respirer les odeurs nauséabondes de l’Italie marchande.

Une nuit que j’avais pris le quart à 2 heures avec Bernard, nous nous trouvâmes entourés d’un brouillard épais. Je dis alors à Bernard que je ne pouvais rien distinguer à dix mètres en avant. Il me répondit : « Quand on est marin, François, il faut voir, même à travers les