Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/28

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Nous voici aux premiers jours de mai.

« Je vais mieux, me dit M. de Maupassant, je suis un peu réchauffé, grâce au feu que vous entretenez dans toutes les pièces ; mais je ne me sens pas disposé au travail. Allez chez le libraire qui se trouve à droite, rue du Bac, en quittant le pont Royal, vous m’achèterez une carte de la Seine, de Paris à Rouen. Je vais la descendre en yole jusqu’à Rouen avec M. A… Cela me prendra quatre jours. Pendant ce temps, vous préparerez tout ce dont nous avons besoin pour Étretat. Nous y partirons aussitôt mon retour. »

Mon maître prit le train pour s’embarquer à Maisons-Laffite. Mais il avait oublié sa carte à la maison, je m’en aperçus et je la lui portai. J’arrivai à temps pour assister à l’embarquement. M. A… était à la barre, Monsieur prit les avirons ; il se frotta la paume des mains d’un enduit spécial, jeta un dernier regard sur l’ensemble de son bateau et salua de la tête les trente personnes qui étaient là. Puis, faisant le mouvement d’un grand oiseau qui prend son vol, lentement, avec mesure, il plongea les deux avirons dans l’eau. Quelques minutes après, on n’apercevait plus au loin qu’un point noir sur la nappe argentée de la Seine, qu’inondait un beau soleil printanier. Monsieur, de l’aveu de tous les connaisseurs, était un canotier hors ligne. Ces louanges me furent agréables.

À son retour. Monsieur me raconta qu’il avait eu un temps splendide, mais que ce pauvre M. A… n’était plus de force à faire d’aussi longs parcours. « J’ai dû, me disait-il, lui reprendre les avirons à tous moments, et parfois ramer pendant quatre heures, sans m’arrêter. »