Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/288

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y arrivait en même temps que moi, la figure toute congestionnée. La baronne était absente et il avait fait ce trajet de Divonne aux portes de Genève sous un soleil brûlant, torride dans cette vallée. Il avait voulu rentrer sans s’arrêter, sans prendre de repos, et, au retour, accablé par la chaleur, il fut pris d’un étourdissement, tomba de machine et se luxa deux côtes. Après un repos pris sous un hangar de ferme, il eut le courage de remonter ; et le voilà, là, tout désolé, non du mal que lui fait son côté, mais de la secousse que cette chute (qui semble une atteinte d’insolation) peut avoir d’influence sur son cerveau, si bien équilibré tous ces temps derniers qu’il avait pu travailler avec une extrême facilité à son Angelus.

Le docteur est là, il reconnaît la luxation des côtes, ordonne d’enfermer le thorax dans une série de bandes bien maintenues. Mon maître semble tout réconforté après la visite de ce bon docteur. La nuit est cependant mauvaise ; à plusieurs reprises il défait ses bandes, et toujours à nouveau je dois recommencer ce travail pas très facile. Enfin, à 5 heures du matin, il s’endort.

La nuit suivante est un peu plus calme. Je sommeille sur une chaise de la salle à manger, quand j’entends, comme une musique, la petite pendule me sonner deux heures du matin ; je me dis : « C’est la mauvaise. » En effet le malade ne manque pas de m’appeler. À ce moment précis, des idées de tristesse me torturaient l’esprit, mon cœur battait comme sous le coup d’une grande émotion, dans une sorte de demi-sommeil ; j’avais le pressentiment qu’un malheur n’arrive jamais seul.

Le 15, à 9 heures du matin, une voiture est à la grille du jardin. Une dame en descend. Ah ! mon Dieu, voilà mes pressentiments réalisés ! Elle explique que c’est