Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/82

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Parfois, le soir, j’allais avec mon maître jusqu’au bout du jardin, sur le versant d’où l’on voyait Nice. On apercevait la longue rangée des becs de gaz de la promenade des Anglais, et toujours on en revenait à parler du tremblement de terre ; mon maître en faisait une description qui donnait la chair de poule, et me mettait la mort dans l’âme pour toute la nuit.

Un soir, on remarqua que les feux de bivouacs avaient beaucoup augmenté sur les fortifications d’Antibes ; plus de deux cents ménages vivaient là maintenant, ayant dû quitter leurs demeures qui menaçaient ruines, après tant de secousses répétées. Mon maître m’emmena un soir les visiter ; il fut très généreux pour ces gens qu’il voyait vraiment dans le besoin. C’était un tableau navrant de misère et de tristesse ; sur deux paillasses réunies dormaient la mère et quatre enfants. À côté, toute une famille, depuis l’aïeule jusqu’aux derniers venus ; par-ci par-là, des poêles, des veilleuses, des lampes juives, accrochées à des montants en bois. C’était lugubre, mais heureusement il ne faisait pas froid.

Je suis surpris que Monsieur n’ait pas écrit un article sur cette misère grouillante que sa plume aurait si bien rendue. Il n’aurait eu qu’à écrire le récit qu’il en fit à sa mère le lendemain.


Fin mars. — Notre maison est encore debout ; les crevasses continuent seulement à s’élargir, surtout au dessus des portes et des fenêtres.

Pour oublier nos tribulations, je vais de temps à autre faire la cueillette de violettes dans les champs avec des voisins. Nous sommes quelquefois quinze, c’est très amusant, chacun dit son mot pour rire, sans trop