Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/292

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tient, qui est à toi, bien à toi !… Là où maintenant ils sont, tu iras, et, nous apportant leur essence vitale, tu l’appliqueras à ce simulacre, afin que les souffrances que nous allons infliger au mannequin-missionnaire ne soient pas vaines.

Cette invocation terminée, le grand-sage redescendit de l’orient, fit ouvrir toutes les fenêtres qui étaient à l’extrême hauteur de la salle, afin que l’air extérieur pénétrait bien, et alors, debout près du mannequin, il se mit brusquement à agiter ses bras en l’air, à toute volée ; et cela était si grotesque, si ridicule que, si cette comédie s’était passée dans un simple salon de spirites vulgaires, je n’eusse pas manqué d’éclater de rire. Mais, ici, même les choses les plus absurdes, les plus inaptes, les plus bêtes, avaient un caractère odieux, et je ne pensai certes pas à rien prendre en plaisanterie. Néanmoins, pour donner au lecteur une idée de l’action mouvementée à laquelle se livrait le grand-sage, force m’est de faire une comparaison quelque peu triviale : on eût juré qu’il cherchait à attraper des mouches au vol, ou des vapeurs insaisissables, planant dans l’atmosphère du temple au-dessus de lui.

Il remuait ainsi bras et mains avec une vitesse vertigineuse, ouvrant les mains et les refermant, comme s’il avait réellement saisi quelque chose, et chaque fois il secouait ses mains sur le mannequin étendu, au tour de son corps, faisant des sortes de passes magnétiques. J’eus l’explication de cette gymnastique, en entendant les paroles dont il l’accompagnait, et qu’il prononçait tout essoufflé :

— Lucifer, Dieu-Bon, laisse-moi prendre et attirer à moi, d’une extrémité des atmosphères à l’autre, le fluide, l’essence vitale des maudits missionnaires qui sont en route vers ce pays. Fais ensuite pénétrer cette essence de vie dans le substratum symbolique que voici devant toi. Alors, nous le torturerons, un pour tous ; et, un pour tous, il paiera la dette d’obligation qu’il te doit.

Or, tandis qu’il manœuvrait ainsi, mon voisin, un des deux Anglais visiteurs, mais pas celui qui avait été mordu par le squelette, me dit à voix basse :

— Voyez-vous les âmes ? voyez-vous les bras du grand-sage qui se détachent pour saisir les âmes maudites ?

Moi, je ne voyais pas autre chose que ce que je viens de relater. Mon voisin, au contraire, distinguait un phénomène, et il me l’expliqua. Selon lui, affirmait-il du moins, il voyait très nettement l’un des bras du grand sage se détacher de son corps par une secousse violente, traverser l’espace, la main ouverte, et, arrivé presqu’à la voûte du temple, s’agiter un instant comme poursuivant quelque chose ; la main alors se refermait, et le bras revenait violemment se coller au corps ; puis, après le