Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/939

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matin, j’adjurai le diable d’avouer la franche vérité et de dire s’il voulait abandonner ce corps. Après de longues supplications, au milieu de gémissements et de soupirs douloureux, sur un ton passablement humble, il dit : « Oui ». Encouragé par cette réponse, je lui demandai au nom de Dieu, de la Mère de Dieu, et de l’archange Saint-Michel, s’il voulait le faire de suite. — « Oui.» — Alors pour la troisième fois, je l’adjurai de déclarer en pleine vérité s’il voulait s’en aller sur le champ. Il répondit un « oui » décidé.

Quand, pour la dernière fois, le diable eut avoué qu’il voulait quitter l’enfant, je l’adjurai de ne rentrer ni dans le corps d’une des personnes ici présentes ni dans celui de « la Herz » qui lui avait fait posséder l’enfant, et de s’en retourner au contraire aux lieux que Dieu lui avait assignés. Après une pause, je lui posai cette question : « As-tu déjà abandonné l’enfant » ? J’obtins comme réponse : « Oui ». — Ainsi que tes compagnons ? — Oui. — Pour la troisième fois, je t’ordonne de me dire l’entière vérité. As-tu avec tes compagnons quitté le corps de cet enfant ? — Oui, répliqua-t-il. — Où es-tu maintenant ? dis-je. — Dans l’enfer, répartit-il. — Tes compagnons aussi ? — Oui, répéta-t-il. — Au nom de la très sainte Trinité je te conjure, pour la troisième fois, de faire connaître par un signe, si tes compagnons et toi êtes réellement en enfer. — Oui, nous sommes en enfer », répondit-il avec un accent horrible. Dans cette dernière réponse, il semblait véritablement que la voix venait de l’enfer. Jusque-là le diable avait répondu sur un ton arrogant et insolent. Cette suprême réponse était pleine de tristesse.

Alors, des larmes coulèrent en abondance des yeux de l’enfant, signe que le malin esprit l’avait réellement quitté. En effet, au moment où il me déclara pour la troisième fois qu’il était en enfer, il partait. Antérieurement il m’avait toujours menti. C’est du reste le père du mensonge. Je fis alors faire à l’enfant le signe de la croix, regarder le crucifix, prononcer les noms de Jésus, de Marie et de l’archange Saint-Michel. Il le fit en pleurant à chaudes larmes. Je lui tendis la croix et les saintes reliques à baiser ; il les baisa en les couvrant de pleurs. Il récita ensuite le Pater noster et l’Ave Maria, en poussant de profonds soupirs. Enfin j’achevai l’exorcisation. Cela fait, je plaçai cet enfant sous la protection de la Mère de Dieu, en le revêtant du quadruple scapulaire.

Grande était la joie que nous ressentions tous. Pour rendre hommage au bon Dieu qui, par l’intermédiaire de son indigne serviteur, avait accompli cette merveille, je me dirigeai accompagné de l’enfant et des assistants vers le maître-autel et entonnai le Te Deum. Et puis je donnai la bénédiction avec le saint ciboire.

Le lendemain, mercredi 15 juillet, le matin à cinq heures et demie, eut lieu la messe solennelle d’actions de grâces avec rosaire, ainsi que je l’avais promis. Pendant la messe, l’enfant, à genoux sur un prie-Dieu dans le sanctuaire, récita le rosaire, entouré de nombreux fidèles, en signe de reconnaissance. Et tous les yeux se mouillèrent de larmes, à la vue de cet enfant délivré de son mal.

Telle est l’histoire de cette difficile mission qui m’échut, du plus lourd devoir qui puisse incomber à un prêtre. Je dois au reste m’écrier avec le Psalmiste : « Ce n’est pas à nous, Seigneur, ce n’est pas à nous, mais c’est à votre nom que l’honneur en revient ». Je ne puis, pour ma part, que remercier Dieu et célébrer l’infinie miséricorde qu’il a révélée si éclatante au sujet de cet enfant.