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Lomof, les deux mains crispées sur la poitrine.

J’oserai.

Natalia

Veuillez ne pas crier ainsi, je vous prie. Si vous tenez à devenir enragé, que ce soit chez vous, au moins. Mais tant que vous serez ici, je vous invite à rester convenable.

Lomof

Mademoiselle, si je n’avais en ce moment d’affreuses palpitations de cœur, si je n’éprouvais aux tempes des tambourinements prodigieux, je vous dirais certaines choses… (Criant soudain.) Je vous dirais que ce pré est à moi.

Natalia, criant aussi.

Et moi, je vous répondrais qu’il est à nous.


Scène IV

Les mêmes, TCHÉBOUKOF


Tchéboukof

Qu’y a-t-il ? Qu’avez-vous à vociférer ainsi tous deux ?

Natalia

Papa, explique, je te prie, à ce monsieur, à qui appartient le pré qui est entre le bois de bouleaux et le marais. Est-ce à lui ? Est-ce à nous ?

Tchéboukof

Hé ! ce pré est à nous, mon cher ami.

Lomof

Permettez, Stépane Stépanovitch. Depuis quand est-il à vous ? Soyez raisonnable, vous, du moins. La grand’mère de ma tante a donné l’usufruit de ce pré aux paysans de votre grand-père. Ces paysans en ont joui pendant quarante ans comme s’il leur avait appartenu. Et puis…

Tchéboukof

Permettez à votre tour, mon cher. Vous oubliez que, si ces paysans ne payaient rien à votre grand’mère…

Lomof

Pardon, à la gr…

Tchéboukof

Oui, je sais, à la tante de votre grand’mère…

Lomof

Pard…

Tchéboukof

Vous aurez beau faire, je parlerai. Si ces paysans ne payaient rien à qui que ce fût, c’était précisément parce que ce pré se trouvait en litige. Mais maintenant, tout le monde sait qu’il est à nous. D’ailleurs, reportez-vous au cadastre.

Lomof

Je vous démontrerai que ce pré est mien.

Tchéboukof

Je vous en défie bien, mon bijou.

Lomof

Nous verrons.

Tchéboukof

En tout cas, ma colombe, ce n’est pas avec des cris comme ceux que vous poussiez tout à l’heure… Au reste, faites attention à ce que je vais vous dire. Si vous me contestez ce pré, je le donne aux paysans.

Lomof

Il ferait beau voir que vous jouiez au généreux avec le bien d’autrui !

Tchéboukof

Ah ! mais, dites donc, jeune homme, je ne suis pas habitué à ce que l’on me parle sur ce ton. J’ai trente ans de plus que vous, et je vous somme d’avoir à vous comporter à mon égard avec déférence.

Lomof

Décidément, vous me prenez pour un imbécile. Vous déclarez vôtre une propriété qui est mienne, et vous exigez que je garde mon sang-froid pour en causer avec vous ! Ce n’est pas ainsi que se comportent de bons voisins, Stépane Stépanovitch. Non, vous n’êtes pas un bon voisin ; vous êtes un imposteur !