Page:Termier - Marcel Bertrand, 1908.djvu/38

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épreuve pour les pères et pour les mères ; mais quelle épreuve de choix, quel abîme de douleur, quel gouffre de désolation, quand l’enfant est frappé en pleine santé, en pleine joie, et comme foudroyé ! Pendant des mois, nous croyons à quelque affreux rêve ; nous nous imaginons que l’être follement aimé va reparaître, continuant le jeu commencé, la causerie interrompue, achevant l’éclat de rire que nous entendons encore… Dans ces « choses inconnues » dont parle le poète, ces choses, sans doute infiniment merveilleuses, qui se font « loin derrière les nues » et « où la douleur de l’homme entre comme élément », cette douleur-là doit être un élément d’un prix inestimable.

De tant de chagrin, et d’une telle épouvante, Marcel Bertrand ne devait jamais guérir. À partir de ce mois d’avril, il nous parut complètement changé. Sa douceur était restée la même, et il avait toujours son bienveillant sourire d’autrefois ; mais rien ne l’intéressait plus, et, quel que fût le sujet de la conversation, son âme, visiblement, était absente, et même dans un très lointain exil. Il eut néanmoins la force de conduire, aux mois d’août et de septembre, deux des excursions du Congrès géologique international, l’une en Savoie, l’autre en Provence. Il fit encore son cours pendant toute une année scolaire, mais avec une fatigue croissante ; et l’année suivante, 1901-1902, il ne put en faire qu’une partie. La maladie s’installait en lui, lentement et implacablement. Dans l’été de 1902, j’essayai de le consoler, de le distraire, et de lui redonner un peu de vigueur, en l’entraînant dans une course de quelques jours, au pays basque, entre Roncevaux et Saint-Jean-Pied-de-Port. Il vint volontiers, et même avec plaisir ; mais la marche en montagne lui était très pénible et les problèmes géologiques, après l’avoir un instant amusé, le rebutaient bien vite. Ce fut alors que je perdis tout espoir.