Page:Termier - Marcel Bertrand, 1908.djvu/43

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du mal d’exil. Il était, en toute conjoncture, « le contraire de l’homme médiocre » ; et cela, disait Hello, suffit à faire deviner l’homme de génie. Mais l’homme de génie se révélait, chez lui, par d’autres caractères : par la pensée toujours puissante et neuve qui semblait, quand il la promenait sur les confins de nos connaissances, une torche ardente étoilant les ténèbres et faisant reculer la nuit ; par l’inspiration créatrice, ou le don de tirer, presque sans effort, d’un chaos d’idées et de faits, un système harmonieux et clair, un monde où l’ordre régnait et que l’on ne se lassait pas de regarder ; enfin, et surtout, par cette inconscience prophétique dont on a pu dire qu’elle est le critère du génie, et qui était, chez Marcel Bertrand, la faculté d’entrevoir, à une énorme distance en avant des autres géologues, la solution, pour longtemps encore indémontrable, de problèmes à peine soupçonnés, de problèmes qui ne seraient posés que demain. Dans la plupart de ses écrits, la phrase est fréquemment et comme naturellement prophétique ; et cependant on l’eût bien étonné en le saluant du nom de prophète. Il prédisait et prévoyait inconsciemment, de même qu’un lecteur exercé, lisant à voix haute, laisse inconsciemment courir ses yeux dans le texte, plusieurs lignes en avant, et voit déjà la fin d’une période dont ses auditeurs n’ont pas encore entendu les premiers mots. En 1884, il avait énoncé, dix-neuf ans à l’avance, et dans des termes fort clairs, le principe de l’exacte solution du problème alpin ; il était si peu convaincu d’avoir vu juste qu’il demeura treize ans sans rien écrire à ce sujet. En 1898, il me fit part du sentiment qu’il avait d’un charriage de toute la zone houillère des Alpes françaises ; cependant il ne voulut pas prendre part, quelque temps après, aux discussions qui s’élevèrent à propos de ce charriage. On eût dit que sa conviction, à cet égard, allait en diminuant au lieu de se renforcer. Tout le monde connaît la