Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/62

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que le Créateur déployait plus de cruauté î Disons-le, il a manifesté une malice profonde, celui qui laissa volontairement l’homme courbé sous le fardeau de sa prévarication, et le monde sous un joug odieux. Quelle idée auriez - vous d’un médecin qui, entretenant avec complaisance une maladie qu’il pourrait guérir, irriterait le mal en différant le remède, afin d’accroître sa renommée, ou de mettre ses soins à l’enchère ? Eh bien ! flétrissons de la même infamie le dieu de Marcion ! Spectateur complaisant du mal, fauteur de la violence, lâche trafiquant de la faveur, traître à la mansuétude, il a été infidèle à la bonté, là où il y avait urgence. Ah ! qu’il se fût hâté de venir en aide au monde, s’il était bon par nature plutôt que par un effet du hasard, s’il devait la miséricorde à son caractère plutôt qu’à l’éducation ; s’il était le Dieu de l’éternité, et non un imposteur qui commence à Tibère ; disons mieux, à Cerdon et à son disciple. Ainsi ce Dieu aura accordé à Tibère ce privilège d’avoir fait apparaître sous son règne la bonté divine sur la terre.

XXIII. J’oppose à Marcion un autre principe. Tout en Dieu doit être naturel et raisonnable. Je somme donc la bonté de se montrer raisonnable. La bonté par essence est si loin de renfermer un principe de désordre, qu’il n’y a point d’autre bien que ce qui est raisonnablement bon. Je dis plus. Le mal, pour peu qu’il renferme de raison, passera plus aisément pour le bien, qu’on n’empêchera le bien, dépourvu de raison, de passer pour un mal. Pour moi, je nie que la bonté du dieu de Marcion porte ces caractères. Mon premier argument, le voici. Il est entré dans le monde pour sauver des créatures qui lui étaient totalement étrangères.

Eh bien ! s’écrie-t-on, tel est précisément le caractère et, pour ainsi dire, la perfection de la bonté. Volontaire, spontanée, elle s’épanche sur des êtres étrangers qui n’ont point à la revendiquer comme une dette de famille. Ne reconnaissez-vous pas là cette charité surabondante par laquelle