Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/177

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« Qu’importe cela, disait-elle, à une vieille femme comme moi. »

Toute son ambition était de vivre assez pour voir son fils comblé de gloire et d’honneurs, comme cela ne pouvait manquer de lui arriver. Elle conservait précieusement ses cahiers, ses dessins, ses compositions pour les montrer aux intimes de son petit cercle, comme s’ils eussent porté déjà l’empreinte du génie. Elle confia quelques-uns de ces chefs-d’œuvre aux demoiselles Dobbin, pour les montrer à miss Osborne, la tante de George, qui devait les faire voir à M. Osborne lui-même, afin d’arracher au vieillard quelques remords de son excès de sévérité à l’égard de celui qui n’était plus.

Pour elle, toutes les fautes, toutes les coupables faiblesses de son mari étaient désormais ensevelies avec lui dans la tombe. Elle ne se souvenait plus que de l’amant passionné qui l’avait épousée au prix de tant de sacrifices, que du noble et vaillant guerrier qui la serrait dans ses bras au moment de partir pour le champ de bataille et d’aller mourir pour son roi. Du haut du ciel, le héros devait sourire à l’enfant qu’il avait laissé près d’elle pour la consoler et lui rendre le courage.

Nous avons vu déjà l’un des grands-pères de George, M. Osborne, enfoncé dans son large fauteuil de Russell-Square, devenir chaque jour plus violent et plus fantasque ; nous avons vu aussi comment sa fille, avec de beaux chevaux, une belle voiture, avec tout l’argent qu’elle désirait pour s’inscrire en tête de toutes les œuvres charitables, était cependant la femme la plus délaissée, la plus malheureuse et la plus persécutée. Ses pensées la reportaient toujours vers le fils de son frère, charmante vision trop vite évanouie. Elle aurait voulu pouvoir se rendre dans son bel équipage à la maison qu’il habitait, et, en allant faire tous les jours sa promenade solitaire au Parc, elle regardait dans toutes les allées comme pour voir si elle ne l’apercevrait pas.

Sa sœur, la femme du banquier, daignait de temps à autre lui faire une visite à Russell-Square. Elle amenait avec elle deux enfants souffreteux confiés à une bonne qui prenait des airs de grande dame. Mistress Bullock détaillait à sa sœur, du ton le plus futile et le plus léger la liste de ses nobles et illustres connaissances, en accommodant le tout avec le caquetage insignifiant qui a cours dans les salons du monde. Son petit Frédéric