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LA FOIRE AUX VANITÉS

mouton et votre bouteille de vin, prendre votre crayon et écrire à la marge : Niaiseries, bavardages, etc., etc… Voilà bien un de ces génies sublimes qui n’admirent que le grand, que l’héroïque, dans la vie comme dans les romans. Dans ce cas, il fera bien de prendre congé de nous et de tourner ses pas d’un autre côté. Ceci dit, nous poursuivons.)

Pendant que Sambo plaçait dans la voiture les fleurs, les présents, les malles et les boîtes à chapeaux de miss Sedley, ainsi qu’un coffre en cuir bien petit, bien usé, sur lequel miss Sharp avait trés-proprement attaché son carton, et que M. Sambo tendit au cocher avec une grimace à laquelle celui-ci répondit par un rire d’intelligence, l’heure du départ arriva.

La douleur de ces derniers moments fut moins vive, grâce à l’admirable discours que miss Pinkerton adressa à son élève : non que ce discours de séparation disposât Amélia à des réflexions philosophiques ou qu’il l’eût armée de calme contre les épreuves de la vie, ce qui formait la conclusion du discours ; mais c’est qu’il était d’une épaisseur, d’une prétention, d’un ennui qui dépassait toute limite, et miss Sedley craignait trop sa maîtresse de pension pour laisser percer aucune marque d’impatience. Un gâteau à l’anis, une bouteille de vin, furent apportés dans le salon, comme aux occasions solennelles des visites de parents. Après avoir pris sa part de ces rafraîchissements, miss Sedley put songer à partir.

« Voulez-vous entrer, Becky, et prendre congé de miss Pinkerton ? dit miss Jemima à une jeune fille à laquelle personne ne faisait attention, et qui descendait l’escalier, tenant à la main son carton à bonnets.

— Je le dois, » dit miss Sharp avec un grand calme et au grand étonnement de miss Jemina.

Puis elle frappa à la porte, et, ayant reçu la permission d’entrer, elle s’avança sans la moindre hésitation et dit en français, avec la plus grande pureté d’accent : Mademoiselle, je viens vous faire mes adieux.

Miss Pinkerton ne comprenait rien au français, bien qu’elle dirigeât des élèves qui l’entendaient. Elle se mordit les lèvres ; releva sa vénérable face ornée d’un nez à l’antique, et au sommet de laquelle se dessinait un large et majestueux turban.

« Miss Sharp, dit-elle, je vous souhaite le bonjour. »

Et, en parlant, la Sémiramis d’Hammersmith allongeait le