Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/395

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— Taillé en pièces, » répondit imperturbablement le hussard.

À ces mots, Pauline fut prise d’une crise nerveuse, et remplit la maison de ses cris et de ses sanglots.

« Oh ! ma chère maîtresse, ma bonne petite dame ! » s’écriait-elle par intervalles.

Égaré par la terreur, Jos Sedley ne savait plus à quel coin du monde demander son salut. De la cuisine il se précipita dans le salon et regarda la porte d’Amélia avec une expression suppliante ; mais bientôt, se rappelant les dédains de mistress O’Dowd, il prêta l’oreille pendant un moment, et, prenant un parti énergique, résolut de s’aventurer dans la rue.

Saisissant une chandelle avec tout le courage du désespoir, il se mit à la recherche de son chapeau galonné, qu’il finit par retrouver à sa place ordinaire, sur la console de l’antichambre, devant un miroir où il avait coutume de donner le dernier coup d’œil à sa toilette. Telle est la puissance de l’habitude, que, malgré ses terreurs, il se mit instinctivement devant la glace pour passer l’inspection d’usage. À la vue de sa pâleur, il se sentit défaillir ; mais ses moustaches surtout attirèrent son attention ; depuis sept semaines environ qu’on leur avait permis de voir le jour, elles avaient atteint un degré de développement bien capable de lui donner des inquiétudes dans la circonstance actuelle.

« On va me prendre pour un militaire, » pensa-t-il, en se rappelant l’avis d’Isidore et les menaces de massacre proférées contre toute l’armée anglaise.

Il remonta précipitamment dans sa chambre et tira violemment la sonnette.

Isidore accourut. Jos était déjà sur sa chaise, sa cravate enlevée, son col rabattu, sa tête renversée, et les deux mains autour du cou, au-dessous du menton.

« Coupé moâ, Isidore, criait-il, vite, coupé moâ. »

Isidore pensa un moment que son maître, atteint d’aliénation mentale, lui disait de lui couper la gorge.

Les moustaches… moâ vouloar descendre dans le rou… coupé les moustaches… rasé vite. »

Son français se pressait avec assez de rapidité sur ses lèvres, mais il était en révolte constante avec la grammaire.

D’un coup de rasoir, les moustaches disparurent. À la suite de cette opération, Isidore éprouva une satisfaction ineffable,