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Avec beaucoup d’esprit et un sens très juste des valeurs, M. Barrès a fait naître Saint-Phlin à Varennes. L’infériorité, l’avilissement pour tout dire où Drouet, le 22 juin 1791, a réduit le roi et dont la vieille Mme Gallant de Saint-Phlin garde la tradition locale, empêcheront que le jeune homme, pourtant traditionaliste, devienne jamais monarchiste »[1]. Ainsi son antipathie pour la monarchie comme son goût pour la tradition (et pour le patois lorrain) sont déterminés par ce que M. Barrès appelle des façons de sentir. Saint-Phlin est rendu heureux et fier par le patois qu’il ne sait pas. Il est rendu méfiant à l’égard de la monarchie qu’il n’aperçoit que dans la berline de Varennes : peut-être, là aussi, ne sait-il pas. Ce terrien délicat et naïf, sans arrière-pensée, un peu virgilien et lamartinien, paraît dans le cadre de sa terre et de ses grands arbres une jolie nature, un peu passive et molle. Elevé par sa grand’mère, il est comme Sturel l’enfant des femmes. Il rassemble heureusement dans une figure intéressante ce qu’il y a dans le traditionalisme de M. Barrès de confortable, de reposant et d’un peu court.

XI
SURET-LEFORT

On trouve dans Le Roman de l’Énergie nationale une Somme copieuse et un peu lourde où M. Barrès a déversé tout le produit de son expérience politique depuis le boulangisme jusqu’au commencement de l’Affaire Dreyfus. Expérience politique à trois compartiments : expérience électorale, expérience parlementaire, expérience de journaliste, et d’une façon générale expérience de l’intrigue. Les trois livres du Culte du Moi témoignent d’un goût de l’intrigue où M. Barrès aurait pu se perdre. Benjamin Constant est un des « intercesseurs » de l’Homme Libre. « Si cet appétit d’intrigue parisienne et de domination qui parfois nous inquiète au contact du fiévreux Balzac arrivait à nous

  1. Les Déracinés, p. 50.