Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/248

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dry, remontant au fond de la scène, s’accouda sur la barrière, et, sans parler, contempla la prairie. Immortelle minute, bénéfice qui ne saurait se perdre, point suprême où se dissipe tout notre émoi voluptueux pour que nous soyons exténués de sublime ! » La prairie que contemple Gundry, c’est la prairie qui, dans la Colline Inspirée, dialogue avec la chapelle. La prairie « des fleurs sauvages, des simples et qui suivent la nature. » C’est là que Wagner, le Wagner de Parsifal, installe, après le Criton et l’Évangile, l’éthique nouvelle de la vie libre, « rejette tous les vêtements, toutes les formules dont l’homme civilisé est recouvert, alourdi, déformé. Il réclame le bel être humain primitif, en qui la vie était une sève puissante. Ah ! la vie, elle emportait alors chacun vers sa perfection. L’homme ne lui résistait pas ». Socrate qui « a jugé qu’il ne convient pas à un citoyen de se soustraire aux lois de la Cité, même injustes…, promulgue les lois de la Cité. Jésus la loi de Dieu, l’amour. Que fondent Gundry, Tannhauser, Tristan, héros déchirants de Wagner ? Les lois de l’Individu ». M. Barrès a été chercher à Bayreuth le prophète du Culte du Moi comme Baillard a rapporté de Tilly le Culte de l’Esprit-Saint. Et les deux cultes sont de même source, l’Esprit-Saint est le Moi divinisé : « Révélation, Contrat Social, ce sont les moyens par où, jusqu’à cette heure, l’humanité se dirigea vers sa perfection ; eh bien ! le prophète de Bayreuth est venu à son heure pour collaborer à la préparation du Culte du Moi qui se substituera à ces formes usées et enseignera le renoncement en vue du mieux à ceux qui n’entendent plus les dogmes ni les codes. » Cette prairie de Gundry, nous l’avons revue dans l’Ennemi des Lois. C’est sur elle que se développe derrière Velu II la théorie de ceux qui veulent vivre de la vie spontanée : « Une seule loi vaut : celle que nous arrachons de notre cœur sincère. Pour nous diriger dans le sens de notre perfection, nul besoin de nous conformer aux règles de la Cité, de la Religion. Un citoyen ? un fidèle ? Être un individu, voilà l’enseignement de Wagner. »

M. Barrès au fond n’a jamais abandonné complètement cette idée, celle du spontané, de la foi en les puissances directes, intérieures, centrales de l’individu. Mais il l’a, sans cesse et avec plus de conscience, mise au point. Il en a vu le danger. Il a reconnu en elle le principe de l’éternelle hérésie. Et l’attitude de M. Barrès, dès le commencement, impliquait un certain conformisme extérieur qui n’eut pas de peine à devenir, comme le lui prédisait Simon, un conformisme social éclairé et justifié. De sorte que cette idée et l’idée contraire, confron-