Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/310

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fice. Si notre architecture et notre tragédie règnent sur l’Europe au siècle suivant, est-ce comme « nationalistes » ou au contraire comme un signe et un instrument de rupture avec une tradition, avec toutes les traditions nationales englobées sous le nom méprisant de « gothiques ? »

Et surtout, dès qu’un nationalisme part à la conquête de l’étranger, il s’aperçoit ou il devrait s’apercevoir qu’il n’y a pas un nationalisme, mais des nationalismes, qui sont nés à peu près ensemble, doivent vivre ensemble, et tendent à s’exaspérer par le contact. L’Europe d’après-guerre plus encore que celle d’avant-guerre est pleine de nationalismes tenaces. Comment le nationalisme, organe intérieur de défense contre l’étranger, servirait-il d’organe de propagande, d’assimilation et de sympathie chez l’étranger ? Il faut demander à une doctrine, à une attitude, les services qu’elles peuvent rendre, et on ne doit pas, sous prétexte que les grenades ont bien nettoyé des tranchées, s’en servir pour nettoyer son cabinet de travail.

Ces réserves faites, l’emploi d’une doctrine et d’un grand écrivain se trouvant plus strictement délimités, il n’est pas mauvais, même pour le rayonnement intellectuel de la France, que M. Barrès gonfle de tels espoirs son nationalisme. À un moment où partout le nationalisme se présente sous un aspect fermé et massif, on doit se louer que le nationalisme français soit identifié avec un artiste de pure moëlle française, avec une culture affinée et nuancée dont il reste tout de même quelque chose dans une doctrine qui n’est point tout à fait le lieu de la finesse et des nuances. Puisque notre démobilisation intellectuelle ne peut être complète, puisque notre frontière de l’Est conserve ses bastions, acceptons que M. Barrès reste au service, tienne une place qui doit être occupée. On peut n’être pas plus « nationaliste » qu’il n’est lui-même catholique, et dire pourtant, quand on se défend de le vouloir autre et quand on le défend contre ceux qui le voudraient différent, ce qu’il dit des églises de village pour lesquelles il lutte : C’est pour moi-même que je me bats.