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de leurs yeux baissés et encore leur calme énigmatique »[1]. Phrase admirable qui fait vivre vraiment la figure dans la surface colorée.

Ainsi M. Barrès a fait à cette Acropole qui lui paraît un peu scolaire l’offrande parfaite de son dernier devoir d’écolier. Acte de correction et d’élégance d’un Français bien né, mais qui ne vient pas du cœur. Quelles que soient les valeurs d’intelligence que nous admirons dans le Voyage de Sparte, les origines égotistes de M. Barrès et son fond romantique l’amèneraient invinciblement à déclasser l’humanisme, à déclasser l’image commune de la Grèce, — à leur opposer cette image selon lui-même, cette image romantique qu’est la Sparte de son livre.

Déclasser l’humanisme. Si la raison athénienne lui paraissait vraiment une raison universelle, il en dénoncerait l’erreur et la malfaisance pédagogique comme il a dénoncé longuement celle de la maxime kantienne (mal comprise) : « Agis toujours de façon que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle. » La généralité de l’humanisme répugne à sa raison nationaliste. L’éducation de l’Université (et de toute la pédagogie française, catholique ou laïque) aboutit par là à l’anarchie. M. Barrès évoque en Grèce des images françaises, sur l’Acropole des bâtisses de notre moyen-âge. Il est très mécontent qu’à Sainte-Odile M. Taine ait inversement évoqué l’Iphigénie de Goethe : « On n’imagine point de lieu où disconvienne davantage qu’à Sainte Odile la tradition normalienne, pseudo-hellénique, anticatholique et germanophile. Les événements de 1870 prouvent mieux qu’aucune dialectique l’erreur de M. Taine, ou, pour mieux parler, son insubordination[2]. » Il est d’autant plus curieux de voir Taine malmené comme type de la culture universitaire que les Déracinés sont sortis en somme des thèses profondément posées par les Origines de la France Contemporaine. Mais enfin cette tradition normalienne, si elle conduit les jeunes gens et surtout les hommes faits à l’idée d’une Athènes idéale et d’une Rome éternelle, à ces pointes et à cette couronne de l’humanisme, commencent, principalement dans cette imagination des enfants que Plutarque nous aide à embellir, par poser une Athènes et une Rome toutes municipales, pittoresques, vivantes, par faire épouser aux jeunes cœurs un patriotisme athénien et romain, par leur rendre chères des images comme celles

  1. Du Sang, p. 260.
  2. Au Service de l’Allemagne, p. 57.