Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/102

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lisme absolu de Hegel, de Fichte et de Schelling avait déjà tenté Villiers de l’Isle Adam, dont la Claire Lenoir est une application curieuse de ce système ; Mallarmé en fit la base même de ses travaux. Pour lui, les idées pures étaient les seuls êtres réels et virtuels de l’univers, alors que les objets et toutes les formes de la matière n’en étaient que les signes... Tout objet est le symbole passager de son idée mère[1]. » Ces philosophes n’ont pas grand’chose à voir avec Mallarmé pas plus qu’avec Villiers, dont l’idéalisme est une manière de vivre et de créer, née d’un tempérament d’artiste : et si de plus Mallarmé dégagea une pensée spéculative très subtile, elle consiste, sans préoccupation métaphysique, en une réflexion sur les formes et les limites de son art, de sa vie aussi.

Cet idéalisme se résumerait ainsi : un orgueil éperdu, plutôt qu’une conscience nette et profonde, de la vie intérieure, un orgueil qui comporte d’abord une déception, et qui l’habille — la dissimulant et la révélant à la fois — par une magie de rêves. La vie intérieure à laquelle il est forcé, le poète la veut supérieure à la vie terrestre que sa nature lui interdit :

Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu’il faut, pour tresser ma couronne mystique,
Imposer tous les temps et tous les univers,

dit Baudelaire. Et s’il me fallait trouver pour l’idéalisme de Mallarmé un nom, je l’appellerais la couronne mystique, la couronne pour laquelle le poète fier et despotique impose en effet les temps et les univers, celle dont, au terme des Destinées, ceignait sa tête, dans l’Esprit pur, Alfred de Vigny. Mallarmé lui aussi place au sommet de sa plus haute flèche cet esprit pur :

  1. C. Mauclair : L’Esthétique de Stép. Mallarmé (dans l’Art en Silence, reproduite dans Princes de l’Esprit).