Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/133

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vertigineuses sautes en un effroi que reconnue ; et d’anxieux accords. Avertissant par tel écart, au lieu de déconcerter, ou que sa similitude avec elle-même, la soustraie en la confondant. Chiffration mélodique tue, de ces motifs qui composent une logique, avec nos fibres. Quelle agonie aussi, qu’agite la Chimère versant par ses blessures d’or l’évidence de tout l’être pareil, nulle torsion vaincue ne fausse ni ne transgresse l’omniprésente Ligne espacée de tout point à tout autre pour instituer l’Idée : sinon sous le visage humain, en tant qu’une Harmonie est pure[1] ». En des termes et à un propos analogue, il évoque ailleurs les « sirènes confondues par la croupe avec le feuillage et les rinceaux d’une arabesque » et qui représentent, par là, la figure que demeure l’idée. » Le hasard « ne doit et pour sous-entendre le parti-pris, jamais qu’être simulé[2] ».

La pensée de l’homme ne consiste pas à créer des êtres, mais à découvrir des rapports ou des intersections d’aspects. À ces intersections se placent les moments du poème, ou plutôt ils sont ces intersections mêmes, dans leur ambiguïté, leur défaut d’être.

De sorte que toute poésie est au fond métaphore ou symbole : ce qui revient au même, puisque le symbole naît d’une métaphore invétérée. Cette « ambiguïté de quelques figures belles » forme les images glorieuses de la poésie romantique ou même parnassienne.

Lorsque Napoléon flamboyait comme un phare,
Et qu’enfants nous prêtions l’oreille à sa fanfare,
               Comme la meute au cor.

Et sur elle courbé, l’ardent Imperator
Vit dans ses larges yeux étoilés de points d’or
Toute une mer immense où fuyaient des galères.

Les rapports, voilà le domaine du poète, comme la nature, perçue communément et, en gros, identiquement,

  1. La Musique et les Lettres, p. 46-47.
  2. Divagations, p. 218.