Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/145

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Centre vers lequel penchent des ordres de beauté aussi différents que la nostalgie de Chateaubriand, la poésie des ruines, le Magnitudo parvi de Victor Hugo, la grande ode de Lamartine Éternité de la nature, brièveté de l’homme.

Mais dans tous ces ordres existe une antithèse entre le sentiment poétique et l’ampleur oratoire de la forme, qui prend sur la nature le modèle de son déversement extérieur. Des antécédents, ou plutôt des concordances, à la forme mallarméenne vue sous cet angle, nous les demanderons mieux à la poésie classique.

La tragédie, dans ses témoins essentiels, ne se préoccupe pas du décor extérieur. Chez Racine le décor parfait, un décor non en carton romantique, ni même en marbre vrai, mais mieux en pur verbe français, est incorporé au vers lui-même ; il se tait aux yeux de chair afin de mieux être pour la pensée. « Oh ! qu’il a éclaté aux esprits ! »

De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?

Et plus loin, sur des confins d’où point déjà à nos yeux le paradoxe mallarméen, le même décor atteint sa beauté de second degré lorsqu’il figure, lui aussi, une absence.

Dans l’Orient désert quel devint mon ennui !

La matière profuse, l’éblouissement d’Orient ne nous servent ici qu’en s’évanouissant pour situer aux limites silencieuses de l’art la réticence infinie.

Ce sens des valeurs négatives dont se construisent la poésie et la pensée de Mallarmé, il se dévoile enfin comme une défense inquiète, exclusive, jalouse de l’Esprit. L’œuvre de Mallarmé occupe des positions où passa l’Esprit Pur d’Alfred de Vigny. « Un homme au rêve habitué vient ici parler d’un autre qui est mort », déclare-t-il en commençant une conférence sur Villiers de l’Isle Adam. Il vit dans ce qui figurait la mort la ressource et l’inépuisable possibilité du rêve. Il donna,