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LA PERSONNE DE MALLARMÉ

Qui entreprend sur un poète un travail d’analyse doit mettre une discrétion un peu stricte à ne faire intervenir qu’à l’occasion de l’œuvre écrite la personne vivante. On est, insinue Pascal, agréablement surpris lorsque croyant trouver un auteur on rencontre un homme. Soit. Mais nous n’en avons pourtant à l’homme qu’à propos de l’auteur. La critique anecdotique, par complaisance — dirais-je démocratique ? — pour les classes médiocres de lecteurs finit par effriter notre goût et par délaver une gloire sous la pluie de ses commérages. On l’a vue récemment lire le Lac de Lamartine dans la posture du valet de chambre, du groom et du plongeur, quand à la porte de tels numéros ils occupent d’un œil le trou suggestif de la serrure. Laissons ces misères[1], Mallarmé a pris très justement les précautions nécessaires pour garder de cette moisissure, autant qu’il le pouvait, son existence vivante et sa mémoire posthume, et les protéger contre les façons des journalistes litté-

  1. Il y a beaucoup d’exagération et de naïveté dans ces lignes, que je laisse subsister pour attester que je voulais alors parler le moins possible de la personne de l’auteur et que je cherchais à réaliser — faiblement — une critique pure à l’imitation de la poésie de Mallarmé. Je n’ai plus guère de ces scrupules. C’est le droit de l’écrivain de dépister les commérages, c’est le devoir de sa famille d’en garantir sa mémoire, c’est l’habitude du public de les provoquer et de s’y plaire, c’est parfois une nécessité de la critique de les examiner et d’en faire état.