Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/230

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pointe au bout du vers comme un pied de ballerine, il le faut déjà sentir, détaché en sa parabole d’absence, comme un pur vocable mallarméen. Il matérialise imperceptiblement et d’un point au crayon désigne tout cela qui reste intéméré, la blancheur nue de la porcelaine à laquelle se réfèrent et dans laquelle palpitent, plus délicates d’isolement, les très menues lignes éparses, lac, croissant, roseaux, sans que rien transgresse les bords de la tasse fine (et pour l’artiste alors rien n’est d’autre dans l’univers). Distrait définit, en le situant dans le poète, le rapport des lac, croissant, roseaux, au milieu blanc, entre eux circulant, qu’ils respirent. C’est l’art que condensera encore (reconnaissez le retour du procédé) le

Salut,
Solitude, récif, étoile,
À n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Joignez à ces images celle des fleurs détachées « parmi l’heure et le rayon du jour », celles des pierreries solitaires entre leurs feux mutuels, et vous avez, semble-t-il à l’état de symbole, la pointe extrême de l’esthétique des mots seuls, moins parnassienne qu’hugolienne, le dernier « rameau subtil demeuré les vrais bois mêmes ».

Apparence seulement. Cette poésie des mots purs, retirée du bain oratoire, puis descriptif, où la tinrent en suspension le romantisme et le Parnasse, elle ne nous est pas tout à fait inconnue, mais bien plutôt qu’ailleurs nous la trouverions dans le symbolisme même, dans les premiers vers de M. Stuart Merrill, ou encore de Jean Moréas

Les cerfs s’en sont allés, la flèche emmi les cornes.
Aux durs accords des cors les cerfs s’en sont allés.

Je n’oserais dire que Mallarmé lui-même s’en soit expliqué, mais enfin il a voulu s’en expliquer, et il s’est