Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près un chef-d’œuvre », — et un sonnet de la dernière période.

Le Guignon est un poème en terza rima. Gautier avait, pour le même sujet, employé le même rythme dans Ténèbres, dont voici quelques tercets. (Le Guignon a été conçu presque certainement comme une suite et une contre-partie de Ténèbres.) Il s’agit de ceux qui n’ont pas de chance, et particulièrement des « poètes maudits ».

S’il éclot quelque chose au milieu de leur vie,
Une petite fleur sur leur pâle gazon,
Le sabot du vacher l’aura bientôt flétrie.

L’aigle, pour le briser, du haut du firmament,
Sur leur front découvert lâchera la tortue,
Car ils doivent périr inévitablement.

Après la vie obscure une mort ridicule ;
Après le dur grabat une mort sans repos
Au bord d’un carrefour où la foule circule...

Sur son trône d’airain le Destin qui les raille
Imbibe leur éponge avec du fiel amer,
Et la nécessité les tord dans sa tenaille...

La tombe vomira leur fantôme odieux,
Vivants ils ont servi de bouc expiatoire ;
Morts ils seront bannis de la terre et des cieux.

Je vais reproduire les deux poèmes de Mallarmé, plaçant l’une après l’autre chaque version de chaque tercet[1]. La première version fut publiée par Verlaine en 1885 dans les Poètes Maudits comme pièce de jeunesse antérieure au premier Parnasse : sans doute ce texte était-il lui-même retouché, et en suppose-t-il un premier qui nous rendrait, si nous l’avions, la comparaison plus intéressante. (Les tercets en italique sont les plus anciens, ceux des Poètes Maudits, les autres ceux définitifs des Poésies.)

  1. J’ajoute, pour la commodité, les numéros.