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CHAPITRE VI

LE POÈME

Ce qui frappe d’abord dans un poème de Mallarmé, c’est un désordre. Les vers, les images, semblent juxtaposés, amenés au hasard. Le mot de Rivarol au sujet de Delille vient à l’esprit : « Il fait un sort à chaque vers et néglige la fortune du poème[1]. » Tout cela n’est qu’une apparence.

Au mot : composition, on donne d’ordinaire un sens oratoire, et par composition poétique on entend comme un canevas de prose qui sous-tend le poème. Une composition harmonieuse s’inspire d’une logique matérielle. Mais de cet ordre d’idées Mallarmé délibérément s’éloigne. Le développement au sens scolaire lui paraît besogne inférieure. Non peut-être par incapacité naturelle. C’est sans effort, comme s’il eût fumé une cigarette, que jeune encore il brodait sur des riens ses souples chroniques de la Dernière Mode et du National. Il y eut un temps où l’ampleur oratoire ne lui demeurait pas étrangère. Le Toast Funèbre en témoigne. Voyez ce qu’à l’occasion de Banville il exhume des « premières pages qu’écolier » il traça dans la solitude : « Institue, ô mon songe, la cérémonie d’un triomphe à évoquer aux heures

  1. Rappelé par M. J.-M. Bernard (article cité).