Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/327

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et basse façon et populaire de dire. — J’accepte de bon cœur et reconnaissant ». Et il ajoute : « Rien ne donne à la phrase un aspect plus négligé. On dirait qu’on lui a ajouté quelque chose après coup. Le plus souvent il n’en est rien[1]. » S’il n’en est rien, pourquoi le dire ? Mais je ne vois là nulle négligence. Le répertoire de Quillacq sur la Langue de Bossuet en donne de Bossuet une vingtaine d’exemples, et il n’en est pas un où la tournure ne se justifie magnifiquement. « Et » est pris au sens fort, et l’aspect est plutôt de souplesse et de conversation que de négligence. Il se rattache au caractère parlé de cette langue. Même geste ondoyant d’insistance et de reprise chez Mallarmé, le « et » continuant et rejetant la proposition, au tournant où son mouvement semblait fini (nous avons remarqué des courbes analogues dans ses vers et son rythme). « Ce que de latent contient et d’à jamais abscons la présence d’une foule[2] ». « Comme si beaucoup de silence, à la fois, et de rêverie s’imposait ou d’admiration inachevée[3]. » Le rejet après une virgule est analogue au rejet après la conjonction. « La promenade cesse au pénétrant, enveloppant Londres, définitif[4]. » Mais voici une phrase où l’emploi du « et » fort est injustifié, et sur laquelle tomberait à propos une remarque comme celle de M. Brunot : « La plus haute institution puisque la royauté finie et les empires[5]. »

La négation est chez lui réduite à son minimum, à sa plus fluide simplicité. Il cherche sans cesse à tourner, à éviter la négation composée avec pas et point, telle que depuis le xvie siècle elle s’est établie, peu heureusement, en français. « N’est-ce, moi, tendre trop haut la tête, pour ces joncs à ne dépasser et toute la

  1. Histoire de la langue française, II, p. 482.
  2. Villiers, p. 70.
  3. Divagations, p. 80.
  4. La Musique et les Lettres, p. 1.
  5. Divagations, p. 359.