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CHAPITRE II

L’INTELLIGENCE DE LA RARETÉ

Il se connut, dès ses premiers vers, comme un poète rare. Mais ce nom on peut le mériter en deux sens : poète aux sentiments et aux formes exceptionnels, uniques, bizarres, — ou poète à qui l’inspiration vient rarement. Mallarmé fut rare de ces deux manières, entre lesquelles il nous aide à établir des correspondances.

Il a peu produit. Son œuvre tient presque en une plaquette dont les artifices de la typographie font un livre, et en un volume de prose[1]. Mais la production d’un poète qui a écrit quatorze vers seulement de beauté éternelle reste immense, incommensurable avec quoi que ce soit, avec, par exemple, celle d’un publiciste dont la santé se fera gloire d’aller au journal tous les matins et qui verra naturellement dans le poète un raté.

Un excès de scrupule portait Mallarmé à ne rien publier qui présentât la moindre apparence de cliché ; qui ne fût de tout point inattendu, unique. Cette rareté de qualité rendait nécessaire celle de quantité. « Que je crève comme un chien, s’écrie Flaubert, plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est pas mûre ! »

  1. Son œuvre publiée par lui, à laquelle commencent à s’ajouter les publications posthumes.