Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/364

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mysticisme rappelle le rêve hégélien, chez le Renan des Dialogues, du Dieu qui se fait. Ce livre c’est « l’hymne harmonie et joie, comme pur ensemble groupé dans quelque circonstance fulgurante des relations entre tout[1] ». Et pour imaginer (nous n’avons de Mallarmé que des phrases sibyllines) comment ces relations entre tout peuvent figurer une forme d’art, il faudrait se reporter peut-être à la théorie de la musique de Schopenhauer ; mais déjà la Cathédrale n’avait-elle pas pour le moyen âge ce caractère de Somme ? ne groupait-elle pas, sous l’inspiration des docteurs, une figure des « relations entre tout » ? Et si, pour Mallarmé, tout existe pour aboutir à un livre, pour les Grecs tout n’existait-il pas pour aboutir à un beau corps, un corps durable de matière parfaite ?

Mais cette pensée, que tout existe pour aboutir à un livre, apporte peut-être la formule de quelque décadence, ou, si l’on juge ce mot imprécis, si l’on craint quelque confusion avec certaine étiquette ridicule, figure cette artério-sclérose de l’esprit, qui achemine vers une fin la vie souple et saine d’un esprit séculaire.

« Quelque chose comme les Lettres existe-t-il ; autre (une convention fut, aux époques classiques, cela) que l’affinement, vers leur expression burinée, des notions, en tout domaine. L’observance qu’un architecte, un légiste, un médecin pour parfaire la construction ou la découverte les élève au discours ; bref, que tout ce qui émane de l’esprit se réintègre. Généralement, n’importe les matières[2]. »

On remonte par ce filon au mot célèbre de Buffon : « Tous les rapports dont le style est composé sont autant de vérités aussi utiles et peut-être plus précieuses pour l’esprit humain que celles qui peuvent faire le fond du sujet. » (Mais n’est-ce point dans cet ordre de pensée ou de croyance qu’à toute époque on s’efforça d’arrêter

  1. Divagations, p. 273.
  2. La Musique et les Lettres, p. 39.