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LES FORMES DE SA POÉSIE 379

« Quelque singulier bonheur, neuf et barbare, l’asseoit devant le voile mouvant la subtilité de l’orchestration, à une magnificence qui décore sa genèse ’. »

L’article sur Richard Wagner s’intitule Rêverie d’un poète français. Rêvant dans l’absolu, pensant « avec la certitude de n’être impliqué dans aucune entreprise pa- reille », il peut laisser libre l’Hyperbole, et caresser, par delà Wagner, la vision d’un art plus universel. Avec la tentative du maître allemand, tentative de musicien,, non de poète, « tout se retrempe au ruisseau primitif, pas jusqu’à la source ».

L’esprit français, dans son radicalisme, prétendrait, rêvant ainsi, remonter à une source, écarter ce legs inter- posé de la Légende, dont plus rien, dans la France moderne, n’est resté. Au-dessus de toute légende spéci- fiée, le Théâtre idéal évoquerait ici un mythe suprême, figuré par le Poème, l’Ode. « Type sans dénomination préalable, pour qu’émane la surprise. » Pas un sujet déterminé, mais une infinie suggestion, un centre d’où les rêves s’orientent et prennent corps. Ni acteur réel, ni scène précisée. « Est-ce qu’un fait spirituel, l’épanouis- sement do symboles ou leur préparation, nécessite en droit, pour s’y développer, autre que le fictif foyer de vision dardé par le regard d’une foule? » Le Poème se propage à la foule par la mimique ou danse, et la mu- sique. Ainsi la danse et la musique ne sont que des lueurs et un rayonnement émanés de la gemme, de l’art suprême, qui est la Poésie, non asservie, mais maîtresse. Jeu du Poème non pas même dit (je crois, car Mallarmé ne précise pas), mais que chaque spectateur sait par cœur, et que, sous l’incantation des gestes et de l’har- monie, il revit et recrée, cependant que l’incarne sur une scène — rappelons-nous le Phénomène Futur et la Déclaration Foraine ■— quelque figure muette de beauté pure.

Et cette Rêverie ’d’un Poète français toujours on ne

1. Divagations, p. 147.