Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/449

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CONCLUSION 445

le contraire de la Vie (cette majuscule est une date comme les habits rouges ou les entraves), et pour aller à cette Vie, il fallait franchir en iMallarmé une marche dépassée. Par la Vie, les uns entendaient les bombes anarchistes, d’autres l’achat de quelques livres de so- ciologie, plusieurs de la nouvelle ou du roman ven- dables, certains une sous-préfecture, et un reste la forêt de Fontainebleau.

La vérité est que l’on touchait, grâce à Mallarmé, et sans bien s’en rendre compte, à l’un des problèmes aigus, à l’une des antinomies vitales qui sont pour un écrivain sa raison d’exister.

« Pour Mallarmé, dit André Gide, la littérature était le but, oui, la fin même de la vie ; on la sentait ici, authentique et réelle. Pour y sacrifier tout, comme il fit, il faut bien y croire, uniquement. Je ne pense pas qu’il y ait dans notre histoire littéraire exemple de plus intransigeante conviction.

« Ne pouvant écouter nul autre, on ne sut point voir en lui le représentant dernier et le plus parfait du Parnasse, son sommet, son accomplissement et sa con- sommation ; on y vit un initiateur *. »

En tant que Mallarmé fut l’halluciné de l’art pour lui-même et pour lui seul il figure en effet l’accomplis- sement du Parnasse. Mais une telle influence ne peut agir que comme leçon de dignité littéraire. Quelle terre vierge montre-t-elle, du doigt, à découvrir et à exploi- ter ? L’idée d’influence ne paraît un peu claire qu’à de rares moments. D’influences authentiques, je vois bien celles de Rousseau, de Chateaubriand ou de Sainte- Beuve : parce que leur œuvre est comme ces cols des Alpes d’où s’étalait aux yeux des soldats la terre opu- lente des conquêtes; parce que l’un désigne de la main une face vierge et vivante de la nature, l’autre les mines de beauté que le passé humain recèle sous les lignes des paysages, et le troisième, chanoine Evrard, la biblio-

1. Prétextes, p. 357.