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CONCLUSION 449

« Ce que j’admire en vous, avait dit Mallarmé à M. Mauclair, c’est qu’avec toute votre jeunesse vous sachiez découvrir en huit jours ce que j’ai mis vingt ans à chercher. » Dans cette rapidité, cette fugacité de conception, Mallarmé pouvait encorr reconnaître son influence. La pensée par analogie, qui fut habituelle- ment celle du poète, une fois déclanchée court indéfini- ment et de la façon la plus aventureuse. Ce jeu illimité des analogies superficielles, Mallarmé ne le déployait que dans la conversation, et un bout seulement de l’aile littéraire qui aurait pu s’en dégager apparaît dans la Dernière Mode. Son œuvre même n’en garde que le foyer substantiel et profond. Par un contraste paradoxal, il y a dans l’atmosphère de Mallarmé une étrange tenta- tion de développement et de facilité. Peut-être Mallarmé en avait-il conscience et s’était-il mis en garde en se raidissant contre tout cliché, tout discours, toute trans- position dans l’écrit des facilités de la parole. Dans un très intéressant essai sur Y Identité et la fusion ’des arls (que recueille YArt en silence), M. Mauclair évoque, comme un livre capital à écrire, un Dictionnaire des Analogies, et il assigne comme tâche à la critique la recherche des analogies entre l’œuvre d’un art et celle d’autres arts. La vérité est que tout est analogue à tout, et qu’un esprit subtil entre deux objets découvre l’ana- logie qulil voudra, comme un poète exercé réunit tou- jours deux rimes quelconques en un distique.

Mallarmé, dit M. Remy de Gourmont, « a influencé profondément la nouvelle littérature ; il a contribué à lui donner le goût du mystère, du vague, du délicieux imprécis * ». Et cela est juste. Mais chez un autre que Mallarmé rien plus que ce goût n’engendre la tendance à une facilité excessive, à la satisfaction de n’importe quoi, au dédain de la perfection. Lorsqu’après Bonheur son instrument poétique devint fatigué et faux, Verlaine appliqua à un art bâclé la doctrine de son Art Poétique

1. Le Problème du Style, p. 1C6.