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466 LA POESIE DE STEPHANE MALLARME

flexion sur la messe, l’intelligence des essais que lui- même tenta, aideront à imaginer une telle poésie, à pré- voir pour l’effort de Mallarmé une place en fonction d’un rêve. *»

En fonction d’un rêve, car on a bien compris que je ne crois pas à cette conquête du hasard, à ce coup de dés suprême. Je ne vois pas-qu’un génie incomparable- ment plus fort que celui de Mallarmé puisse réussir une telle création, inhumaine. Mallarmé l’a essayé de deux façons, amorçant au ras du sol par deux extrémités l’édi- fice chimérique. Il l’a tenté dans ces sonnets « études en vue de mieux comme on essaie les becs de sa plume avant de se mettre à l’œuvre » où il a fait » par un jeu d’allusions une coupe de cristal, une chambre blanche, un salon crépusculaire. Il l’a tenté en réalisant, par tels vers que j’ai cités, l’Idée du vers, par Un Coup de Dés l’Idée de la page. Mais nous ne sortons pas, dans le pre- mier cas, d’une évocation toute matérielle, minuscule, comme ce ciron que la Bruyère demande à l’esprit fort de lui créer, dans le second cas d’une Idée toute litté- raire, où la matière et la forme, comme dans l’argument ontologique, comme dans la loi morale Kantienne, comme dans une identité mathématique, sont, t force, consubstantiels, et figurent, au lieu d’un couple fécond, le dédoublement illusoire de Narcisse devant son image stérile. Entre ces deux extrémités l’être d’une poésie, d’une surpoésie, qui chanterait ou plutôt qui referait présent le sujet ample, éternel, l’homme et la nature, ne peut — et Mallarmé ne l’a-t-il pas compris ? — s’évo- quer autrement que «omme une absence, une impossi- bilité, — oui, un rêve.

De sorte que chez ce Mallarmé idéal, chez ce Platon ou ce Goethe de demain, l’espace de rêve et l’ampleur d’inaccessible croîtraient encore en fonction de ce qu’au delà de la frêle œuvre, entre nos mains, dans ce livre tenu, il saurait réaliser. Je songe à un Léonard de Vinci, à un homme dont le génie se tient et s’écoule sur les limites de son art, «t que la perfection parait décevoir