Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/134

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La question d’ailleurs ne se complique-t-elle pas encore de cette particularité qu’il faut bien se garder d’oublier : c’est que le métier de relieur et celui de doreur sont deux professions parfaitement distinctes et que s’il y eut quelques praticiens qui les exercèrent toutes les deux, ce fut dans tous les temps une exception des plus rares. Dans les quelques noms de relieurs que nous venons de citer, y en eut-il qui appartinrent à des doreurs doués du talent nécessaire pour traiter aussi habilement qu’elles le furent les splendides décorations dont nous parlons ? Car enfin l’art de la dorure des livres était de date trop récente pour qu’il se fût formé dans cette spécialité et en si peu de temps beaucoup de praticiens très expérimentés, et cependant la sûreté de main qui se remarque dans les œuvres de cette époque dénote un savoir-faire réel, ne pouvant provenir que d’une longue pratique.

Nous aurons du reste à revenir tout à l’heure sur cette question, afin de voir s’il ne faut pas rechercher les créateurs de ces merveilles décoratives dans une profession étrangère au livre.

D’un autre côté, ne doit-on pas se demander si les doreurs qui exécutèrent ces magnifiques compositions en furent les inventeurs ? Il était bien rare alors, sinon tout à fait sans exemple, que les ouvriers à quelque état qu’ils appartinssent eussent les moindres notions du dessin[1] ; on peut donc croire, en regard de la valeur artistique de ces types de décoration, que si pour les reliures à relief avec personnages et architectures on eut recours à des dessinateurs de profession, on en fit autant pour les reliures dorées, en s’adressant même parfois à de véritables maîtres dans les arts du dessin.

Ces superbes compositions consacrées aux reliures de cette époque, portent par-dessus tout l’empreinte du goût français, du caractère national que nos maîtres du xvie siècle surent imprimer à leurs œuvres. Obéissant à leur propre imagination

  1. Geoffroy Tory était vraisemblablement le seul, parmi ses confrères, capable de composer les dessins des reliures qui se faisaient chez lui.