Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


nécessaire de la torturer pour lui faire dire autre chose que ce qu’elle dit tout naturellement ? Signant cette dorure en toutes lettres, en déclarant que c’était lui qui l’avait inventée, à propos de quoi Badier y aurait-il appliqué la tête du Gascon cinquante-deux fois ?

Enfin, ne nous attardant pas davantage à discuter des subtilités fort obscures, sans base précise, et vraiment bien puériles, nous dirons que Florimond Badier est certainement celui qui produisit en plus grand nombre les plus belles dorures dans lesquelles le pointillé régnait uniquement. Supposer que l’abandon du fer à trait plus ou moins fin, pour s’en tenir exclusivement à ces filigranes, serait dû à son initiative, n’aurait rien, de trop absolu, car, en dépit des inégalités dans l’exécution qui, nous en convenons, se rencontrent parfois dans son œuvre, comme du reste dans celles de beaucoup de maîtres, l’examen attentif de ses reliures démontre qu’il y eut évidemment, dans le choix du procédé, un parti pris voulu et très accusé de sa part. Lorsqu’il faisait suivre son nom du mot invenit sur cette dorure aux cinquante-deux têtes, ne voulait-il pas dire catégoriquement qu’il était l’inventeur du nouveau style dans lequel elle était conçue ? En effet, qu’il ait à remplir des entrelacs ou à garnir de grands encadrements intérieurs (Voy. pl. XXII), qu’il y mette sa tête ou qu’il la supprime, n’emploie-t-il pas toujours les mêmes fers pointillés tout en en variant les dispositions à l’infini et n’en sont-ils pas moins tout aussi faciles à reconnaître que ses roulettes de bordures ? On l’imita, mais le travail de ses copistes, beaucoup moins habiles que lui, ne fait que mieux ressortir son talent.

Le genre de ces décorations filigranées disparut avec Badier, cependant les relieurs l’oublièrent si peu que, quoique passablement modifié, il est vrai, il servit encore à la composition de plaques gravées destinées à la dorure de paroissiens ou d’almanachs royaux jusque pendant le xviiie siècle.