Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/36

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déclarant nul le brevet d’apprentissage de Bauche et défendant à Ballagny « de prendre à l’advenir qualité de libraire ni tenir boutique ouverte, sous peine de confiscation des marchandises qui y seront ». Ballagny fit appel de cette sentence, et Pigoreau, son maître d’apprentissage, intervint pour défendre lui aussi sa qualité de maître libraire-doreur que le syndic lui contestait. Pigoreau prouva qu’apprenti breveté d’un maître libraire-doreur, il avait été reçu maître et payé les droits d’usage, parfaitement encaissés par les dignitaires de la communauté, et Ballagny fit de même. Enfin, le 20 mars 1621, le Parlement rendit son arrêt déboutant Bauche de sa demande et par lequel Ballagny et Pigoreau « demeurèrent maîtres libraires-doreurs, avec jouissance des privilèges accordez aux libraires, » tandis que les syndic et adjoints furent condamnés aux dépens.

C’est après ce procès que Pigoreau, s’il le fit réellement, dut prendre pour enseigne un doreur poussant une roulette sur un livre, avec l’épigraphe : En dépit des envieux je pousse ma fortune.

Dans un second procès engagé plus tard contre d’autres doreurs, le procureur du syndic et des adjoints, qui se piquait d’esprit, ou qui se laissa simplement souffler par un libraire facétieux, racontait ironiquement que ces doreurs briguant le titre de libraire n’étaient à l’origine que des doreurs de bottes et de baudriers. Pigoreau et Ballagny, d’après lui, avaient fait partie de ces industriels qui, suivant la mode quand elle se prononça pour les volumes richement dorés, abandonnèrent la dorure des revers et des entonnoirs de bottes pour celle des livres, plus lucrative et en même temps plus honorable, puisqu’elle devait les faire entrer dans le corps de la librairie. La vérité est, comme nous l’avons dit, que ces deux doreurs firent leur apprentissage, remplirent leur temps de compagnonnage et se firent recevoir maîtres, en se conformant strictement aux us et coutumes de la communauté des libraires, bien longtemps avant tous ces débats. L’histoire de l’ingénieux procureur n’est donc qu’une fable tombant d’elle-même et ne méritant pas d’être prise à la lettre, comme elle l’a été naïvement par quelques auteurs.