Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/116

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conduite ; vous ne vous êtes pas abstenus d’en venir aux mains ; vous ne nous avez pas invités à évacuer la ville ; mais tombant sur nous au mépris de l’accord que vous veniez de conclure, vous avez tué les uns, et ce n’est pas de quoi nous nous plaignons davantage ; on peut dire qu’ils sont morts victimes du droit de la guerre ; mais ceux qui vous tendaient des mains suppliantes, que vous aviez pris vivans, à qui vous nous promîtes de ne pas ôter la vie, les avoir égorgés contre toutes les lois, n’est-ce pas une atrocité ? Après avoir commis trois crimes en peu de temps, infraction de l’accord, massacre de sang-froid, promesse violée, cette promesse que vous aviez faite de les épargner si nous respections vos campagnes, c’est nous que vous accusez d’avoir enfreint les lois et vous prétendez ne devoir pas être punis ! Non, cela ne sera pas, si du moins les Lacédémoniens jugent avec équité : vous recevrez le prix de tous vos crimes.

LXVII « Nous sommes entrés dans ces détails, ô Lacédémoniens, et pour vous et pour nous-mêmes : pour vous, il ne fallait pas vous laisser ignorer que vous les punirez justement ; pour nous, afin de prouver que ce sera plus justement encore que vous nous vengerez. Ne vous laissez pas fléchir au récit de leurs anciennes vertus : s’il est vrai qu’ils en aient montré jamais, elles parleraient en faveur de malheureux opprimés ; mais pour des gens souillés de crimes, elles doivent leur attirer une double punition, parce qu’il leur convenait moins d’en commettre. Qu’il leur soit inutile de gémir, d’exciter la pitié, d’invoquer à grands cris les tombes de vos aïeux, de déplorer leur délaissement. Nous répondrons qu’elle a souffert bien plus cruellement cette jeunesse que nous avons perdue, massacrée de leurs mains ; elle dont les pères, en joignant à vos armes celles de la Bœotie, ont péri dans les champs de Coronée ; ou qui, seuls dans leur vieillesse, abandonnés dans leurs maisons vides de leur postérité, vous supplient bien plus justement de leur accorder vengeance. C’est quand on souffre injustement qu’on est digne de pitié ; mais c’est avec joie que l’on voit des criminels, tels que les Platéens, souffrir ce qu’ils ont mérité. Eux-mêmes se sont attiré leur abandon. Ils avaient les alliés les plus respectables et se sont plus à les rejeter ; ils ont violé les lois envers nous, sans avoir reçu de nous aucune injure, mais conduits par la haine et non par la justice ; ils ne seront point assez punis. Ce qu’ils souffriront est juste ; et qu’ils ne disent pas qu’ils ont tendu vers nous les mains en qualité de supplians : eux-mêmes se sont rendus par accord, et se sont abandonnés à votre équité.

« Venez donc, ô Lacédémoniens, au secours de la loi reçue chez tous les Grecs, et qu’ils ont violée ; montrez-nous une reconnaissance digne de notre zèle, quand nous sommes injustement offensés, et ne nous repoussez pas, séduits par leurs discours. Prouvez aux Grecs par un grand exemple que vous ne leur proposez pas des combats de beau langage, mais de belles actions ; que si les actions sont bonnes, il suffit de les annoncer, et que les discours des coupables, ornés de belles paroles, ne sont à vos yeux qu’un voile dont ils couvrent leurs forfaits. En qualité de dominateurs, tels que vous l’êtes, si vous établissez contre tous les accusés des jugemens expéditifs, on cherchera moins de beaux discours pour pallier des crimes. »

LXVIII. Ainsi parlèrent les Thébains : les juges de Lacédémone crurent devoir s’en tenir à demander aux Platéens s’ils avaient reçu d’eux quelque service pendant la guerre. Comme d’abord, conformément au traité que leur avait accordé Pausanias pendant la guerre des Mèdes, on les avait invités à rester en repos ; comme ensuite, avant de les investir, on leur avait proposé, suivant le même traité, de rester neutres, et qu’ils n’avaient point accepté cette proposition, les juges, prétendant avoir la justice de leur côté, regardèrent le traité comme rompu et se crurent eux-mêmes lésés. Ils les firent donc venir les uns après les autres, et leur demandèrent si, dans le cours de la guerre, ils avaient rendu quelque service aux Lacédémoniens et aux alliés. Comme ils ne pouvaient répondre qu’ils leur en eussent rendu, on leur donnait la mort : personne ne fut excepté. Il n’y eut pas moins de deux cents Platéens égorgés ; vingt-cinq Athéniens qui avaient soutenu le siège avec eux subirent le même sort ; les femmes furent réduites en servitude.

Pendant à peu près un an, les Thébains peuplèrent la ville des Mégariens que les troubles avaient forcés de quitter leur patrie, et de ceux des Platéens qui restaient, et qui avaient été de