Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/351

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vaient accompagné dans sa première expédition ; de plus les troupes soldées, commandées par Hérippide ; celles des villes grecques de l’Asie et de l’Europe qu’il avait traversées ; enfin, des hoplites phocéens et orchoméniens, habitans des lieux où il se trouvait. Plus fort que l’ennemi en peltastes, il l’égalait en cavalerie. Telles étaient leurs forces respectives.

Je vais décrire la plus célèbre bataille qui se soit livrée de nos jours. Les deux armées, tant celle d’Agésilas, partie du Céphise, que celle des Thébains, partie du mont Hélicon, se trouvèrent en présence dans la plaine de Coronée. Agésilas et les siens formaient l’aile droite ; les Orchoméniens terminaient l’aile gauche. Du côté de l’ennemi, les Thébains formaient l’aile droite, et les Argiens la gauche.

De part et d’autre ou marchait dans un profond silence ; mais à la distance d’un stade, les Thébains coururent à la charge à grands cris. Il n’y avait entre les deux armées qu’un intervalle de trois plèthres, quand les troupes soldées, conduites par Hérippide, se détacherent de la phalange d’Agésilas, avec les Ioniens, les Éoliens et les Hellespontins. Ce nombreux bataillon renversa, du premier choc, tout ce qui était devant lui. Les Argiens, loin de résister à la troupe d’Agésilas, s’enfuirent sur l’Hélicon.

Déjà les étrangers couronnaient Agésilas, lorsqu’on lui annonça que les Thébains avaient rompu ceux d’Orchomène et pillaient le camp. Aussitôt il fit une inversion de files, et marcha contre eux. Les Thébains, voyant ceux d’Argos se réfugier sur l’Hélicon, s’étaient serrés pour les aller joindre, et marchaient fièrement. Que la conduite d’Agésilas, en ce moment, ait été celle d’un vaillant guerrier, on ne le peut contester ; mais elle ne fut pas celle d’un prudent général : car, au lieu de laisser fuir les ennemis pour les prendre en queue, il les choqua de front ; les boucliers se heurtaient ; on poussait, on était repoussé ; on tuait, on était tué. Enfin, une partie des Thébains passa sur l’Hélicon ; l’autre, en reculant, fut taillée en pièces. Agésilas, victorieux et blessé, fut porté à sa phalange, où quelques cavaliers lui dirent qu’environ quatre-vingts des ennemis s’étaient sauvés dans le temple, et lui demandèrent ce qu’il voulait qu’on en fît. Tout couvert qu’il était de blessures, il n’oublia point le respect dû aux dieux ; il ordonna qu’on laissat sortir ces ennemis, sans permettre qu’ils fussent maltraités. Comme il était alors tard, les troupes soupérent et prirent du repos.

Le lendemain, le polémarque Gylis reçut l’ordre de ranger en bataille les soldats couronnés de guirlandes, et de dresser un trophée au son des instrumens. Tandis qu’on s’occupait de cette cérémonie, les Thébains demandèrent une trêve, par l’entremise des hérauts, afin d’inhumer leurs morts. Elle fut accordée.

Agésilas partit pour Delphes, où il offrit au dieu la dîme des dépouilles, qui montait à cent talens. Gylis conduisit l’armée sur le territoire des Phocéens, d’où il se jeta dans la Locride. Le jour suivant, les soldats emportèrent des villages toutes sortes de meubles et du blé. Sur le soir, les Locriens les poursuivirent dans leur retraite, et les assaillirent à coups de traits.

Les Lacédémoniens se retournent, les chargent, en tuent quelques-uns ; les Locriens cessent de les poursuivre en queue, mais gagnent les collines, d’où ils renouvellent l’escarmouche. Leurs adversaires gravissent les collines ; la nuit survient, ils lâchent pied ; les uns tombent dans des précipices, les autres ne voient rien devant eux, d’autres sont percés de traits ; le polémarque Gylis, Pelles, l’un des hommes de sa suite, et dix-huit Spartiates moururent dans cette action, ou blessés ou accablés de pierres. Si les soldats qui soupaient au camp ne fussent venus à leur secours, c’en était fait de tous les fourrageurs ; Les troupes furent ensuite licenciées ; Agésilas fit voile vers sa patrie.


CHAPITRE IV.


Bientôt la guerre se ralluma : les Athéniens, les Bœotiens, les Argiens et leurs alliés, partaient de Corinthe, et les Lacédémoniens de Sicyone, pour faire leurs excursions. Les Corinthiens, voyant qu’on dévastait leur territoire, qu’on leur tuait beaucoup de monde, à cause du voisinage de l’ennemi, tandis que les alliés cultivaient paisiblement leurs champs, désiraient la paix. Les citoyens honnêtes, et c’était la classe la plus nombreuse, se rassemblèrent, se communiquèrent réciproquement leurs vues ; mais les Argiens, les Bœotiens, les Athéniens et ceux des Corinthiens qui avaient excité la